Jean L
STAVELOT
Arrivés au Rio Dulce (Guatemala)
.../...
Atterrissage
« Heureux qui comme Ulysse
A fait un beau voyage
Heureux qui comme Ulysse
A vu cent paysages
Et puis a retrouvé
Après maintes traversées
Le pays des vertes années
Par un petit matin d'été
Quand le soleil vous chante au cœur
Qu'elle est belle la liberté, la liberté
Quand on est mieux ici qu'ailleurs
Quand un ami fait le bonheur
Qu'elle est belle la liberté, la liberté
Avec le soleil et le vent
Avec la pluie et le beau temps
On vivait bien contents »
Mon voilier, ma cap’taine et moi…
La liberté, c’est vrai qu’elle fut belle pendant les années d’heureux vagabondages qui nous ont conduits du fond de la jolie rivière bretonne La Vilaine jusqu’aux antipodes. De la sortie du St Laurent au Cap Horn en passant par la Nouvelle Zélande et la douce Polynésie que nous avons sillonnée en tous sens, nous avons pu savourer cette liberté que beaucoup disent tuée par la pandémie.
Pour l’avoir vécue de manière totale, à l’abri du monde civilisé, isolé parfois dans une partie du monde peu ou pas fréquentée, je me suis rendu compte que la liberté ne peut être une réalité que très loin des autres. Je ne suis pas un solitaire. Je partage la Vie avec ma femme à qui j’ai dû céder, comme elle a dû le faire pour moi, une part de liberté. Un peu comme Moustaki qui l’a si bien tournée en chanson :
…/…
« Ma liberté
Pourtant je t'ai quittée
Une nuit de décembre
J'ai déserté
Les chemins écartés
Que nous suivions ensemble
Lorsque sans me méfier
Les pieds et poings liés
Je me suis laissé faire
Et je t'ai trahie pour
Une prison d'amour
Et sa belle geôlière »
Lorsqu’on accepte de perdre une part de sa liberté, cela va toujours de pair avec beaucoup d’amour. C’est un peu ce que fut notre voyage : une prison d’amour à la différence que sa belle geôlière était deux ! Notre voilier a eu ses exigences et bien plus que celle de mon épouse qui n’a eu de cesse que de me rendre la vie agréable. Que le grand Neptune l’en récompense un jour… Notre voilier, par contre, s’est comporté comme une vraie maîtresse, exigeante, capricieuse, exigeant de nous deux une attention de tous les instants. Avec l’air marin, son plus puissant allié, cette geôlière nous a mené la vie dure ! Pas un bateau n’échappe à ce travers et c’est bien parce que, lorsqu’il danse sur les lames, poussés par une bonne brise et qu’il nous permet de traverser les océans sans rien nous demander d’autre que des conditions de vent et de mer favorables, qu’on lui pardonne tous ses travers.
La liberté, un bien joli mot, exige donc le partage. Ma liberté, celle des autres, où commence l’une ? Où finit l’autre ? La pandémie a remis le mot liberticide au goût du jour. Non pas qu’elle tue la liberté mais parce qu’elle contraint les gouvernements à nous empêcher de la vivre en parfaits égoïstes. Il faut beaucoup d’amour pour l’accepter car c’est seulement le souci du bien-être d’autrui qui nous aide à accepter les efforts demandés, voire exigés.
En grande traversée, on ne se pose même pas la question car une fois la terre disparue de l’horizon, quoiqu’il arrive, notre seule liberté est de nous en sortir. Pour cela, seule la solidarité, le partage des compétences, le souci de mettre tout en œuvre pour y arriver permet de construire la certitude qu’on arrivera à bon port. Il n’y a pas d’alternative. On est en traversée et on doit arriver de l’autre côté. Pas d’échappatoire. Pas de manifestation où brandir des pancartes exigeant que les contraintes cessent. Personne à qui adresser des griefs sinon à soi-même. J’avoue avoir, au cœur de la tempête, exprimé des regrets d’être dedans mais si puérils à l’analyse que, a posteriori, je me suis surpris de penser à la « Guerre des boutons » quand Tijibus disait en pleurant « si j’aurais su, j’aurais pas venu ! ». La mer a ses exigences, comme la pandémie. Je la traverse avec la patience du marin et la certitude que l’Homme saura adapter son comportement et construire avec intelligence et créativité, les conditions de la victoire contre ce p… de virus.
Il n’empêche que la tempête a assez duré. Il est grand temps que la météo redevienne clémente. C’est ce que je souhaite du fin fond des Ardennes où j’attends de pouvoir recevoir mon troisième vaccin qui me permettra, je l’espère, de regagner un peu de cette liberté dont j’ai fait le fil de ce papier.
+ Article publié dans OUEST-France fin août 2021
TÉMOIGNAGE. Le tour du monde à la voile de Jean et Marjolein quand la planète était confinée
Dimanche 29 août 2021, à 10 h, l’Otter II franchit avec élégance l’écluse du barrage et s’arrime à quai, à Arzal (Morbihan). Jean et Marjolein sont arrivés au terme d’un périple extraordinaire, sur une planète figée par le covid.
La famille se retrouve avec émotion, même si le contact par satellite a toujours été très présent. | OUEST-FRANCE
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Ouest-France
Modifié le 01/09/2021 à 15h33 Publié le 01/09/2021 à 15h19
Journal numérique
L’émotion et la joie étaient palpables dans le petit groupe de proches et d’amis, à l’arrivée, sur la Vilaine, du joli cotre familial, l’Otter II, qui arborait fièrement son drapeau belge. Dimanche 29 août 2021, à 10 h, le bateau franchit avec élégance l’écluse du barrage et s’arrime à quai, à Arzal (Morbihan). À bord du bateau, Jean et Marjolein Lumaye Van Ettro arborent le sourire heureux de ceux qui touchent au but. « Arriver, c’est un bonheur suprême ! » s’écrie cette dernière en apercevant Manon et François, ses enfants, leurs conjoints et la petite Ava, qui vient d’agrandir la famille.
Des frontières fermées
En attendant qu’ils débarquent, Manon raconte leur histoire. « Nos parents sont partis en juillet 2011 de La Roche-Bernard, pour un grand voyage de plusieurs années à la découverte du monde, qu’ils ont sillonné de côtes en côtes, d’îles en îles et de mers en océans. En novembre 2019, ils arrivaient en Nouvelle-Zélande ». Et là, le couple, comme beaucoup de navigateurs se heurte aux prémices de la pandémie qui va rebattre les cartes du voyage.
« Nous désirions rentrer en Belgique. La Nouvelle-Zélande a fermé ses frontières à tous les voyageurs. Les avions n’étaient pas sûrs non plus du fait du virus, la vaccination n’était pas encore répandue dans le monde. Il était impossible de revenir si l’on quittait le territoire et impensable pour nous d’abandonner notre cotre. On a alors choisi la route du retour en bateau par l’Est, le Pacifique sud, départ le 23 décembre 2020 », explique Marjolein.
« Seuls au monde »
S’ensuit alors une expérience étonnante d’une navigation complètement solitaire et sans accès aux escales, avec, partout, la fermeture des frontières.
« On a été totalement isolés. Heureusement, le Chili nous a exceptionnellement autorisés à transiter via la Patagonie et la Terre de Feu. Nous étions seuls au monde, dans une nature indescriptible, en 52 jours de mer, on a croisé un seul voilier ! »
Les souvenirs ressurgissent, les tempêtes rencontrées, « la plus longue a duré 10 jours avec des rafales allant jusqu’à 70 nœuds, mais notre Otter II est solide ».
Puis le 7 mai, le passage du cap Horn. « C’était un grand moment d’émotion, on a pensé à tous les marins disparus depuis toujours en ce lieu symbolique. On n’a pas trouvé mieux que d’écouter un Requiem pour les honorer et leur dédier notre respect ». Et après la remontée de l’Atlantique sud par les 50e hurlants et les 40e rugissants, l’arrivée à Sainte-Hélène, les Açores, et enfin l’arrivée en Bretagne, Arzal d’abord, puis Pénerf en Damgan, où la famille possède une maison depuis quatre générations.
« Nous allons mettre le voilier au sec, le bichonner »
Au final, ils ont parcouru pour ce retour 19 500 milles en huit mois et cinq jours. Se retrouver à terre après ce voyage « où tout bouge, tout est en mouvement », c’est aussi le moment de se poser.
« Nous allons mettre le voilier au sec, le bichonner. Et nous, nous voudrions à présent mettre un peu nos mains dans la terre, acheter une maison, créer une forêt nourricière. Un beau projet nature, pour prouver qu’on peut nourrir le monde et le rendre meilleur pour nos enfants et petits-enfants. Voyager autour de la planète rend humble, c’est aussi un voyage au bout de soi-même. Pendant cette grande aventure à deux, on a continué à se découvrir. Nous avons beaucoup écrit. Mettre ses idées par écrit, c’est bien. Nous continuerons », conclut Marjolein, les yeux encore pleins de 10 ans de belles images.
TÉMOIGNAGE. Le tour du monde à la voile de Jean et Marjolein quand la planète était confinée