La chronique Vendée-Globe de la semaine

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CATAMARAN
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La chronique Vendée-Globe de la semaine
sujet n°116793

Ici et là-bas
Golfe de Gascogne. Les vagues ressemblent à celles d’ailleurs, pourtant cette mer a quelque chose de familier, avec sa couleur verte un peu trouble et ses amas de goémons arrachés aux roches de Bretagne par les tempêtes de l’hiver. L’air porte déjà en lui des imperceptibles effluves de la terre.  Voilà des goélands aventurés au large, des flottilles de bateaux de pêche espagnols et leurs feux jaunes clignotants. Hier c’étaient les cargos sur le rail Cap Finisterre-Ouessant.
L’aube du dernier jour. Ultimes instants de solitude avec ce voilier compagnon, un compagnon exigeant et exclusif avec qui vous avez partagé les bons moments et les aléas qu’on appelle des fortunes de mer. Désormais les jeux sont faits et vos relations se sont apaisées. Reste le souvenir amusé de ces moments où, quand tout allait mal, vous l’avez violemment insulté et frappé, comme si cet assemblage high-tech de carbone pouvait y être pour quelque chose.
Pour vous en excusez, à cet instant où vos destins se séparent,  vous tapotez doucement le pont comme un ami à qui on tape sur l’épaule. « Salut à toi, bateau, et merci pour cette belle aventure que tu m’as permis de vivre ». Car il a su, malgré tout, vous faire faire le tour du monde, comme une capsule en orbite autour de cette terre que vous avez pu observer d’un peu plus loin.
Une première vedette vient à votre rencontre. Ils ont dû quitter le port très tôt, malgré le froid, le vent fort, les vagues, la pluie et le mal de mer. On se fait signe de la main, on se crie quelques mots un peu convenus. Et puis le silence. Silence respectueux de tous ceux qui, à bord, vous contemplent et voient enfin ce qu’ils ont si souvent imaginé à travers vos mots, vos photos et le trait du sillage sur la cartographie du site.
Pas envie de parler, pas encore. Il faudra du temps pour sortir de ce cocon de solitude et en assimiler les richesses. Avec toutes ces choses à dire et celles qui resteront dans votre ailleurs, là-bas, de l’autre côté de l’horizon. Spectateur de l’évènement, vous croisez des regards sans vraiment les voir. Eux sont insistants et sans doute un peu inquiets de savoir si cette expérience extra-terrestre vous a changé.
Quelques bateaux s’approchent. Des saluts, encore. Oui, tout va bien. Oui, je suis bien de retour parmi vous, mais laissez-moi encore un peu de temps pour atterrir. La côte apparaît dans la brume. Vous en avez gardé l’image du jour du départ. Le voyage est bientôt fini. Tout à l’heure le bateau va s’immobiliser et redevenir un objet inerte, sans vie. Tout à l’heure le bruit de l’eau sera remplacé par le fracas de la terre. De merrien, il faudra redevenir terrien.
Dans ces derniers milles, vous revivez en accéléré ces mois au Grand Large. Le film repasse en flash-back. L’albatros, quelques jours après le Cap Horn. Intuitivement vous saviez que c’était le dernier. Il vous a accompagné vers le Nord.  Et puis, un matin, il a plané en cercles autour du mât, vous avez senti qu’il allait partir. Alors vous l’avez salué de la main, comme un salut à ce monde qui a été le vôtre. Un monde sauvage où vous vous êtes découvert ou retrouvé dans une harmonie intérieure malgré les exigences, les difficultés et la nécessité de se surpasser, jour après jour, semaine après semaine. Ses ailes de géant sont devenues les vôtres. Vous avez gagné votre défi. Vous pouvez être fier, heureux, confiant et planer vers d’autres rêves.
Bonheur intense de retrouver tous ceux que l’on aime et qui ont su, à travers leurs messages, vous écrire ce qu’ils n’avaient jamais osé vous dire. Paradoxe de les sentir plus proches alors que vous n’en aviez jamais été autant éloigné.
Maintenant il faut quitter ce bateau, cet ami vaillant et fidèle et remonter le ponton. Premiers pas un peu gourds avec cette sensation fugace de déséquilibre que l’on appelle mal de terre. Tout ce monde, rien que pour vous. Le bain de foule, les mains qui se tendent, les mots d’admiration, les questions de journalistes. Passage sans transition de la solitude à la multitude.
L’organisme, lui aussi, doit assumer ce changement brutal. D’une vie tranquille dans cet océan liquide où le risque infectieux est quasi inexistant, il doit instantanément faire face à l’agression des virus et des bactéries qui prolifèrent sur la terre. Pas simple pour le système immunitaire. Ce général en chef des globules blancs et des anticorps, sans ennemis à combattre depuis deux mois, s’était un peu mis en vacances. Le voici de retour dans la réalité de la promiscuité. Malgré le branle-bas de combat du système de défense, les assaillants ont l’avantage de la surprise. Pas étonnant de voir quelques jours après l’arrivée, le développement de petites infections, notamment respiratoires.
La nuit se prolonge, pas envie de dormir. Les amis eux, sont fatigués par l’attente, la sortie en mer, l’émotion et l’heure tardive. Tout à l’heure, vous vous êtes assoupi quelques minutes. Un temps suffisant pour retrouver la forme. Ces sommeils courts de nuit comme de jour sont devenus votre fonctionnement, un processus parfaitement adapté aux exigences de la navigation en solitaire. Aujourd’hui, ne reste plus qu’à le désapprendre pour retrouver le sommeil de l’homme normal qui se couche le soir et se lève le matin. Il faudra du temps, parfois plusieurs semaines et des nuits d’insomnie.
Petit tour dehors pour mieux respirer. Le front froid a lavé le ciel de ses nuages. Les étoiles sont là, ternies par les lumières de la ville. Vous, vous avez eu le privilège de les voir briller d’un éclat incomparable dans le ciel du Grand Sud. Il n’en reste que la nostalgie du souvenir. Ce monde de là-bas vous habite désormais. L’envie d’y retourner est pour l’instant trop lointaine pour être envahissante. Il lui reste 4 ans pour grandir… ou s’évanouir. 

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réponse n°270365

Bonjour Mr Chauve, bonjour à toutes et à tous

Ce recit est-il celui d'un compétiteur ou d'un compétiteur du passé ? J'imaginais que le compétiteur  épuisé physiquement avait  bien présent dans sa tête  à l'arrivée un plan d'actions qu'il avait l'intention de mettre en oeuvre au plus vite pour remédier à tous les aléas qui l'avaient assailli  pendant sa course. J'imaginais qu'après avoir repris sa place dans le cercle familial, et après avoir réglé les problèmes  restés en suspens (inhérent à tous les marins embarqués au long cours) il lui tardait de tout mettre en oeuvre pour, qu'enfin , il puisse connaitre, lui aussi, les joies du vainqueur.

Bien cordialement

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CATAMARAN
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réponse n°270368

Merci de votre intérêt sur le sujet. Dans ce Vendée-Globe comme dans les précédents, chaque parcours est différent. Il ya les compétiteurs purs, ceux qui viennent pour la gagne et d'autres qui viennent pour l'aventure, l'aventure de découvrir ce monde désertique et hostile des quarantièmes mais aussi se découvrir eux-mêmes à travers ces mois de  vie solitaire et la gestion d'un bateau et de conditions météo particulièrement dangereuses.  C'est par exemple le cas d'Eric Bellion qui ne refera pas le Vendée-Globe. Il a vécu une superbe expérience qui l'a enrichi mais il préfère en construire de nouvelles plutôt que de repartir sur cette course dans le souci de devoir prouver aux autres qu'il est le meilleur. Ce qui fait l'intérêt de cette course c'est cette approche différente. Alan Roura, le plus jeune, a choisi de vivre d'emblée ce voyage, d'autes comme Rich Wilson (66 ans) ont considéré qu'il s'agissait de l'aboutissement d'une carrière de marin. Il ne reviendra pas en 2020, tout comme Nandor Fa d'ailleurs.  Je souhaite que dans cette course, il y ait toujours une place pour l'aventure, aventure qui est plus proche du thème de notre association, même si on, sait que ce seront toujouirs les machines de guerre qui trusteront les podiums.

BP7
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Hood 38 (Monocoque)
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réponse n°270374

Merci pour vos chroniques pleinent d'humanité qui vont me manquer

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CATAMARAN
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réponse n°270375

Cela a été un vrai plaisir pour moi de vous faire vivre ces impressions recueillies au cours de ces 8 Vendée-Globes. Je pense que le monde de la croisière et celui de la course au large sont beaucoup plus proches qu'il n'y parait. Si, en toute modestie, je peux aider à   favoriser les échanges entre ces 2 mondes qui partagent la même passion de la mer, j'en serai très heureux.

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réponse n°270380
Dr Chauve a écrit :

 Dans ce Vendée-Globe comme dans les précédents, chaque parcours est différent. Il ya les compétiteurs purs, ceux qui viennent pour la gagne et d'autres qui viennent pour l'aventure, l'aventure de découvrir ce monde désertique et hostile des quarantièmes mais aussi se découvrir eux-mêmes à travers ces mois de  vie solitaire et la gestion d'un bateau et de conditions météo particulièrement dangereuses.  C'est par exemple le cas d'Eric Bellion qui ne refera pas le Vendée-Globe. Il a vécu une superbe expérience qui l'a enrichi mais il préfère en construire de nouvelles plutôt que de repartir sur cette course dans le souci de devoir prouver aux autres qu'il est le meilleur. Ce qui fait l'intérêt de cette course c'est cette approche différente. Alan Roura, le plus jeune, a choisi de vivre d'emblée ce voyage, d'autes comme Rich Wilson (66 ans) ont considéré qu'il s'agissait de l'aboutissement d'une carrière de marin. Il ne reviendra pas en 2020, tout comme Nandor Fa d'ailleurs.  Je souhaite que dans cette course, il y ait toujours une place pour l'aventure, aventure qui est plus proche du thème de notre association, même si on, sait que ce seront toujouirs les machines de guerre qui trusteront les podiums.

Bonsoir  à toutes et à tous,

Sur les 29 inscrits en 2016-2017, je relève 15 skippers ayant déjà participé  à cette  course les années précédentes et sur les 14  autres  dont c'est la première participation, il y a probablement aussi des compétiteurs.

Sauf erreur de ma part, il me semble que les 2/3 des participants au Vendée   2016 / 2017 sont des compétiteurs. Comme pour la formule 1,  le voilier du plaisancier bénéficiera des retombées technologiques découvertes lors de cette course et d'autres, les foils par exemple.

Bien cordialement

Le site de la Grande Croisière...