Destination Açores ! - 1. Yves
PREMIERE PARTIE : CHACUN DE SON COTE
Vu par Yves : « PETREL SOLO SAILOR »
Cette année, parmi les destinations à notre portée, nous avons retenu… les Açores ! Comme Christine n’apprécie décidément guère les longues traversées et que j’avais une vieille envie refoulée de goûter à la navigation au large en solitaire, nous avons décidé de tenter la chose et que Christine rejoigne Pétrel aux Açores.
Une « autoroute » météo s’étant installée durant la seconde quinzaine de mai (flux de NE, plutôt musclé), il a été décidé d’un départ de Roscoff dès que possible (derniers travaux à terminer), soit, finalement le 25 mai vers 16:45, par un temps «de cochon» : 28 nœuds de NE, contre la fin du flot, afin d’arriver à Ouessant dans de bonnes conditions de courant. Comme mise en jambes on pouvait rêver mieux !
J'essaye ci-après, pour mémoire surtout, de conter le déroulé et le vécu de cette première expérience de longue traversée (10 jours) et de navigation en solitaire... sans événement marquant !
Jeudi 25 mai 2023 – Premier jour.
Pétrel s’élance. Dans une ambiance quelque peu tendue : en effet la plupart des bateaux rentrent à Roscoff se mettre à l’abri d’une dégradation du temps en Manche. Même les employés du Port du Bloscon s’étonnent de me voir partir dans ces conditions. Il faut dire que depuis plus d’une semaine les conditions d’une traversée rapide vers les Açores sont réunies : un anticyclone s’étale quasiment de la Floride aux Îles britanniques et dirige un flux de nord-est (NE), plutôt musclé, de la Bretagne aux Açores. Inespéré mais temporaire.
C’est largué. Je comptais sur le vent latéral et surtout le fort couple de l’hélice pour faire pivoter Pétrel sortant de sa place. Mais c’est l’avant du bateau qui part immédiatement sous le vent et je me vois contraint de remonter la panne … en marche arrière. Un départ à reculons, en somme !
En tous cas pas le joli départ espéré.
Il y a déjà une vingtaine de nœuds de NE dans le port. Et comme je pars à marée montante, vent plus ou moins contre courant, je m’attends à me faire secouer dehors, autour de l’Île de Batz.
Je ne serai pas déçu. Avant même de dépasser la digue principale, Pétrel dansait comme un cabri ! Et il me fallait deux mains pour me tenir…
Avant même d'être sorti du port...
Dans ces conditions il m’a fallu deux heures pour parer au plus pressé et mettre le bateau en ordre !
En outre l’ordinateur du bord était devenu incapable de nous situer sur la carte. Heureusement des alternatives étaient prévues (tablette, téléphone).
Puis première nuit en vrai solo : 20 mn de sieste, suivies de 10 mn de réveil, examen de la situation (alentours, route, réglages), puis à nouveau 20 mn de sieste, etc. Siestes sans sommeil au début.
Avant l’aube nous pénétrons, Pétrel et moi, dans le flux de cargos, porte-conteneurs, pétroliers et autres méthaniers virant Ouessant. J’y constate beaucoup de trafic en provenance de la Manche, que je ne rencontre donc qu’en fin de matinée, en plein jour comme espéré - et planifié.
Le vent qui avait un peu molli cette nuit après la chute du jour s’est renforcé et souffle maintenant à une bonne trentaine de nœuds (kn), toujours de NE. La mer se creuse, entre 2 et 3 m, assez courte.
Pétrel roule et bouge encore beaucoup. L’ambiance est agitée et bruyante.
Dimanche 27 mai 2023 – Jour 3 (voire 4…).
Difficile de tenir régulièrement ce journal – voulu comme un complément au Livre de Bord.
Je passe en heures UTC maintenant que je n’ai plus besoin de calculer des marées ou des courants. Ça facilitera la compréhension des fichiers Grib (récupérés – très lentement – avec l’Iridium GO!) et anticipera le décalage horaire avec les Açores, qui sont à l’heure UTC l’été (UTC-1 l’hiver).
Si j’y arrive…
La nuit de vendredi à samedi a été bien ventée, autour de 30 kn, avec jusqu’à 3 m, voire 4 ( ?), de creux, abrupts et impressionnants. Il en faut cependant plus pour perturber Pétrel qui se comporte admirablement bien. Mais il est difficile de faire quoi que ce soit à bord car il faut absolument s’accrocher des deux mains.
La trinquette porte mal et par à-coups, masquée par la grand-voile, toujours à 2 ris. Samedi matin je la passe en ciseaux mais le résultat n’est pas fameux. Vers 18:00 je constate que nous avons parcouru 290 milles nautique (1 nm = 1852 m) en 48 h. Pas mal ! « Bon rouleur, bon marcheur » prétend le dicton.
Ce n’est qu’au soir que le vent se calme un peu, autour de 20 kn. Sous-toilé, Pétrel marche tout de même à 5 kn environ et je décide de passer la nuit ainsi, par sécurité, pour limiter le risque d’avoir à reprendre un ris nuitamment.
Loin des côtes – et des bateaux – j’arrive maintenant à dormir jusqu’à ½ h d’affilée mais ne peux ainsi totaliser qu’environ 3 h de sommeil par jour. C’est peu. Combien de jours peut-on rester « clair » et en forme à ce rythme ? Côté alimentation, les sandwiches préparés par Christine ont été parfaits. Les petits déjeuners ne posent pas de problème, mais je n’ai encore pas vraiment essayé de me préparer un vrai repas chaud.
La nuit suivante (samedi à dimanche) a été plus sereine - et toujours sous-toilée. Lorsque l’AIS ne repère rien (jusqu’à 25 nm), par environ 20 kn de vent, toujours de NE, je tente de dormir une heure d’affilée, considérant comme improbable de faire une route de rencontre avec un bateau marchant à 20 kn ou plus face à nous, la plupart des navires naviguant entre 10 et 15 kn au large.
Personne (avec AIS) à moins de 25 milles
J’arrive ainsi à totaliser près de 4 h de sommeil. Car j’ai peur du «coup de pompe», démoralisant, mais surtout vecteur d’accident : pas le moment de me casser quelque chose. Donc je suis prudent , volontairement lent (plus encore que d’habitude !) et appliqué. Au matin je largue un ris. L’opération est longue et très compliquée par la longe… car je suis harnaché (toujours, hors du cockpit).
En début d’après-midi, je remplace la trinquette par le génois et nous passons de 4,5 à 6 kn !
Pour l’instant la solitude ne me pèse pas du tout. Je ne la perçois guère, étant à 100% ou presque dans le « faire », sans avarie ou accident. L’éloignement des côtes et des bateaux me semble plutôt rassurant. Et j’ai le contact avec Christine ainsi que les principales informations météo. What else ?
Mais tout de même : livré à soi-même, sans aide possible rapidement en cas de vrai pépin. Cette considération est toutefois de l’ordre du raisonnement, pas de la perception sensible. Et en fait, c’est plutôt excitant, même si le mot ne recouvre pas le sentiment exact. Occasion de se prouver (surtout à soi-même, en fait) qu’on « peut le faire ».
Lundi 29 mai 2023
Nuit tranquille, si l’on fait abstraction des battements du génois qui « masque » dans le dévent de la GV. En fin de soirée, tant qu’il reste un peu de lumière, je roule partiellement le génois : en cas de survente nocturne, les choses seraient plus maîtrisables. Encore une nuit sous-toilé. Mais je dors bien : trois fois une heure… Entre ces périodes de repos, je vérifie l’absence complète de navire à moins de 25 milles, le réglage des voiles (pas grand-chose à faire : le vent étant d’une grande stabilité directionnelle), éventuellement une boisson, et retour au duvet s’il n’y a pas un fichier grib à charger ou un routage à vérifier. J’ai installé mon duvet dans le carré (arrière), à bâbord. De là je peux voir les voiles d’avant, mais surtout entendre les éventuelles alarmes, de l’AIS en particulier.
Vers 07:00 : vacation Iridium prévue avec Christine (à 09:00 pour elle !). Mais avant cela je m’habille chaudement, me harnache, et sors empanner la GV, le vent ayant un petit peu tourné, en m’emm…mêlant avec la longe de mon harnais. Je hais cette chose, décidément.
Le remplacement de la « box wifi » a apparemment généré des soucis intermittents avec mes moyens de navigation : l’ordinateur sous Linux a refusé soudainement de communiquer avec le réseau NMEA du bord : il ne sait plus où nous sommes (GPS) ni où sont les autres (AIS). Je perds beaucoup de temps à essayer de régler le problème, sans succès. Je me suis donc rabattu sur la tablette qui nous sert habituellement dans le cockpit pour gérer les entrées de port et les passages délicats. Heureusement celle-ci possède sa propre puce GPS et ne dépend pas du réseau. Je n’ai rien communiqué de ces soucis : à quoi bon ? A part inquiéter l’entourage…
Et puis comme on dit que les « emm… » volent en escadrille, il y a le chauffage qui semble avoir renoncé. Je l’avais mis en route 1/2h, par deux fois, au petit matin : c’est moins glaçant pour sortir du duvet ! Tant pis. Ce sera – j’espère ! – secondaire aux latitudes où nous nous rendons. Autre souci enfin, non communiqué non plus : les effets de la raclée prise autour de l’île de Batz peu après le départ, surtout au moteur sans l’appui stabilisateur des voiles et avec beaucoup à faire. J’ai pris quelques bons coups et suis endolori et couvert de bleus.
Mardi 30 mai 2023
Ce matin il faisait un temps gris à rester couché. Même sans pluie. De l’intérieur de Pétrel on se croirait presque arrêté. En fait j’avais décidé hier soir de DORMIR. Je sens bien que ma concentration devient difficile et ai peur d’une erreur d’inattention. Donc décision de dormir par tranches de 1 heure alternée avec un quart d’heure environ d'activité.
J’ai tout de même réussi à dormir quatre «tranches». Le pilote se démène. Merci à lui ! On ne peut vraiment lui reprocher sa consommation électrique. Je rêve tout de même d’un régulateur d’allure, silencieux et indépendant.
Petrel marche bien !
Après une petite vacation Iridium avec Christine – vacations qu’il me faudra analyser : sont-elles vraiment un plus ? Pour elle oui, j’imagine – je sors la GoPro et tourne quelques images. Ce faisant je constate que la ralingue du génois est sortie de la gorge de l’enrouleur, près du point d’amure, sur une bonne quarantaine de centimètres. J’essaye donc de laisser descendre la voile desdits centimètres puis de la réengager correctement. Cagade, car trop de vent. Bilan : un gros tas de génois assuré à l’avant le long des filières… et trempé pour avoir chaluté, ayant été incapable – surtout avec cette maudite longe – d’être à la fois au winch en pied de mât et dans le balcon avant pour guider la ralingue. J’attendrai donc un calme pour rehisser le génois, peut-être avec l’aide du guindeau (pilotable depuis l’avant). Bref il y aurait fort à dire en faveur des voiles d’avant endraillées. Leur manœuvre est plus pénible, plus dangereuse (il faut aller à l'avant), etc., mais aussi plus « robuste » et réparable.
A 11:30 la situation est sous contrôle et je me sens « faible ». Je me prépare donc à manger, en musique (sur fond de « Beyond the Missouri Skye » (P. Metheny – Ch. Haden). S’il n’y avait qu’un album dans l’île déserte…). Ce qui me requinque. Puis sieste, une heure de sommeil, et page d’écriture.
Comme déjà évoqué, je m’étais promis de tenter de compléter le Livre de bord en racontant mieux le quotidien et ce qu’il m’inspire, en vue, éventuellement, d’une contribution à ce blog (voilà qui est fait !), ou simplement pour mémoire et évocation ultérieure. En tous cas, pour l’instant, la solitude ne me pèse guère et ne m’inspire rien de particulier. Christine, ce matin, a semblé considérer, un brin ironique, que j’avais du temps « à tuer ». Eh bien non. Juste « détendre » un peu les activités quotidiennes et tout ce qu’il « faut faire ». Car Pétrel m’emploie à plein temps ! Et je rêve à ce que serait ce bateau, modernisé et simplifié. Beaucoup d’argent pour ce qui resterait hélas un vieux bateau. Mais vraiment un bon bateau…
Pour revenir à la solitude, c’est plutôt le côté « désert » qui me touche : personne à la ronde à 50 km au moins, depuis plusieurs jours. Merci Jean-François Deniau pour le titre « l’Atlantique est mon désert », sorte de « Chemins noirs » nautiques : je m’y retrouve.
Et contrairement au désert mauritanien où nous avons marché il y a quelques années, personne n’apparait en voisin un quart d’heure après l’installation du campement !
J’ai le sentiment de perdre la notion du temps. C’est probablement un contrecoup de la fatigue et de mon manque de sommeil, mais il y a très certainement plus que ça. Le temps perçu me parait directement lié à l’intensité de mes activités. Curieusement, les périodes intenses (sur le pont, en général, ou en lançant des routages) et celles où je ne fais « rien de spécial » sinon veiller à l’AIS, récupérer des fichiers grib, … ont tendance à passer très vite : je ne vois pas l’heure tourner, comme on dit. Par contre certaines périodes d’attente (croiser un navire, surveiller la charge des batteries, au moteur) sont perçues comme interminables. En outre, les périodes de sommeil, selon qu’elles sont profondes ou pas, viennent fausser complètement la perception et le vécu de tout cela.
Autrement dit, le temps vécu et le temps objectif tel que je m’efforce de le noter sur le Livre de bord se superposent de plus en plus mal. En outre ma mémoire – déjà peu fidèle – me joue de plus en plus de tours, fatigue aidant, et il me faut parfois vérifier que j’ai bien fait et non rêvé telle ou telle manœuvre.
Je pense peu à la destination de cette traversée. Comme j’en suis conscient, j’ai vaguement potassé le guide Imray hier, mais pas en détail. Ce qui, pour l’heure, m’intéresse le plus relève de l'approche d’une certaine vacuité. D’une certaine irréalité, aussi.
J’aimerais être en mesure d’expérimenter un état de conscience spécifique à cette situation.
Vais-je me réveiller ?
Mercredi 31 mai 2023
Pour me réveiller, encore faudrait-il dormir…
Boutade. Mais il y a du vrai. La nuit dernière a commencée avec une survente qui m’a incité à prendre un ris, par précaution, ce qui s’est avéré pertinent.
Je ne comprends rien à la météo du moment : le temps installé depuis une quinzaine (flux de NE stable) semble plutôt exceptionnel. Mais bien qu’il y ait un peu de houle de NE, de grands trains de vagues arrivent par moments… du NE ! Je ne vois pas ce qui peut en être la cause. Enfin, je n’arrive pas à déterminer d’où arrivent des vagues qui « croisent » la mer, voire des vagues «pyramidales» inattendues,générant des mouvements chaotiques du bateau.
Comme nous sommes quasiment vent arrière, il n’y pas moyen de faire porter les voiles d’avant, qu’il faudrait certainement tangonner. Mais je ne m’y risquerai pas, toujours du fait des mouvements du bateau, assez brutaux et imprévisibles, m’obligeant à m’attacher pour aller à l’avant. Et je dois reconnaitre que la longe est bien pour 30 ou 40% dans ce renoncement.
La journée s’est passée ainsi, à quelques tentatives près, peu concluantes, pour passer la trinquette en ciseaux. Ce soir elle tient un peu et nous marchons enfin à 6 kn ! Par moments. Car le vent, d’une exceptionnelle stabilité en direction, varie tout de même en force, de 17 à 22 kn aujourd’hui. J’ai donc passé pas mal de temps, connecté avec l’Iridium GO!, à récupérer des fichiers grib deux fois par jour, car les routages qui en découlent varient pas mal et j’ai finalement opté pour une route directe !
Je surveille l’évolution de la météo et en profite pour échanger des textos avec Christine (un coup de fil, vers 14:00 n’ayant pas été de bonne qualité) et pour souhaiter de bons anniversaires familiaux : un appel téléphonique provenant de nulle part (400 milles au NE des Açores) ça en jette, non ?!
Ça doit pouvoir se raconter aux collègues et aux copains de classe, j’imagine.
Donc pas beaucoup dormi, mal surtout, du fait des mouvements du bateau – et donc de la banquette, même à l’arrière – ainsi que du raffut sur le pont. Ah ces voisins !
En fait de voisins, un cargo est passé assez près pour être visible à l’œil nu et même filmé.
Un cargo !
Et, depuis ce matin, j’ai un autre voisin virtuel, seulement visible à l’AIS : un voilier anglais. C’est drôle de le savoir là. Et, étrangement, cela accroit mon sentiment d’isolement. Peut-être parce que cela concrétise, rend palpable, une situation somme toute assez abstraite.
J’ai souvent – et parfois assez longuement (quelques jours) – perdu la côte de vue. Eh bien, aujourd’hui, ce n’est guère différent. En tous cas tant que je ne tente pas de me représenter les 600 milles d’océan quasi-déserts, tout autour de moi. En fait j’en arrive à avoir le sentiment, contre toute logique, que ce voilier anglais, pourtant probablement mené en équipage, est plus isolé que Pétrel et moi.
J’espère dormir mieux – car « plus » reste illusoire – durant la nuit qui vient. Peut-être va-t-il falloir que je resserre le rythme de mes réveils dorénavant ? Il me semblerait en effet normal que la « densité » de bateaux croisse de façon géométrique à l’approche des Açores et des seuls ports réellement fréquentés par les yachts de passage. Horta serait, de ce point de vue, le 4ème port au monde, selon le guide Imray !
Et dans le jour finissant, sans soleil, surprise : deux oiseaux au ras des vagues. Je n’en ai plus vu depuis que nous avons quitté le plateau continental. Dix minutes plus tard, ce sont des dizaines de ces grands oiseaux à l’allure de petits albatros qui tournent en effleurant les vagues et en battant très peu des ailes.
Jeudi 1er juin 2023
J’ai l’impression d’être presque arrivé… en moins d’une semaine ! Mais non. Les îles sont très étalées et il s’agit d’une illusion cartographique doublée de la présence de bateaux dans le voisinage.
A 03:30 un voilier anglais de 17 m croise notre route à 1,8 nm devant et entame une conversation à la VHF, imaginant que Pétrel Solo Sailor est un coureur au large ! Je l’ai déçu… Et puis un cargo en route pour l’Ijsselmeer apparemment, nous croise à 6,1 nm vers 05:45.
Quelle foule, soudain !
Je ne suis pas frais. Coup de mou, quoi. Ras-le-bol de cette trinquette qui bat, du raffut dans le bateau et des mouvements inattendus. Par moments je me demande si l’on ne m’a pas abordé, avec l’impression d’entendre des pas sur le pont, des voix, … ou des orques ? C’est un peu du délire, mais la « bande-son » est propice à tous les fantasmes. J’essaie de l’enregistrer, sans grand succès.
Tous les navigateurs au long cours (je sais, cette traversée n’en est pas vraiment !) racontent avoir entendu – et même vu – des fantômes. Des compagnons qui tiennent la barre et « veillent au grain », souvent pour leur permettre de dormir en paix.
Une dimension onirique s’installe, c’est certain, alors que je dors ou essaye de dormir. Et, peut-être parce que je cherche à identifier d’éventuelles alarmes dans le tohu-bohu ambiant, j’entends – ou rêve que j’entends ? – beaucoup de gens, plutôt éloignés car ils crient. Le plus souvent sans que je puisse percevoir ce qui se dit. Un bateau qui passe tout près ? Mais non : ce n’est que le bref grincement d’une poulie.
Christine pense avancer son voyage d’une semaine. Et m’écrit aussi que « tout le monde » (les enfants, j’imagine) étaient « ravis de m’avoir parlé et très impressionnés ». Tant mieux !
Elle a émis hier une suggestion qui me tente bien : une escale à Terceira, l’île peut-être la plus proche. Je rêverais d’un petit mouillage abrité où récupérer, bricoler et, paisiblement, attendre de la rejoindre à Horta. Objectivement « les petits mouillages abrités » n’ont guère l’air d’exister aux Açores, surtout avec un vent qui devrait tourner. La houle rend ceux qui existent inconfortable (les ports ont le plus grand mal à s’en protéger). Enfin les fonds, accores et rocheux rendent les mouillages incertains et les ancres difficiles à récupérer. Pas besoin de ça. En prime, « entrer » aux Açores sans formalités semble mal toléré. Pas envie de finir au poste, à Horta ou ailleurs !
Je rumine mes fichiers grib, trace des routages, …, regarde cartes et plans des ports. Le livret accompagnant la carte « papier » des Açores (Imray, la seule) est pour le moins inquiétant : il explique que lorsque les dépressions atlantiques descendent (ce qui paraît être le cas) on peut voir chuter le baromètre (il descend, en effet, mais lentement) accompagné d’un vent de S ou SW (à surveiller, donc) annonçant l’approche d’une dépression (effectivement visible sur les gribs) « … and a dramatic change in conditions » !
Notre Pink Panther serait-elle de retour ?
Message à Christine :
«Ah… 1/2h de sommeil en milieu d’après-midi, un joli soleil (enfin !) sur une mer qui s’apaise un peu, une petite quinzaine de nœuds de vent (nous voilà franchement sous-toilés) mais encore plus de 4kn au compteur, vent quasi-arrière. Et la trinquette qui bat toujours. Mais moins.
Cerise sur le gâteau : trois dauphins. Des petits, gris foncé et blanc. De quoi vous réconcilier avec l’existence.
Et puis le constat que nous devons avoir parcouru 1000 milles ce soir. En une semaine tout rond. Pas mal, Petrel ! Plus que 300 à faire pour Horta.
Si la mer se calme encore, j’essaierai peut-être demain de réengager le génois dans son enrouleur… Mais dur de le guider en winchant au pied de mat !
A demain ?
41°40,58’ N ; 23°53,10’ W
18:00 UTC ce 1er Juin»
Vendredi 2 juin 2023
Hier soir, Christine a fait un message pour annoncer qu’elle avait pu avancer de quelques jours sa venue à Horta, au prix d’une nuit d’hôtel à Lisbonne. Super.
Et tout ce que j’ai trouvé à lui répondre c’est que si elle pouvait faire un grand tour dans Lisbonne, cela valait le coup !… Nul.
Nuit tranquille. J’ai dormi. Quatre fois et près de 1 h à chaque fois. Enfin. Je me réveille « presque reposé » !
Hier soir j’ai lancé le moteur, pour larguer le ris devenu largement superflu, mais surtout pour recharger les batteries. Elles sont tombées à environ 80 % et le frigo n’apprécie pas : 12°C.
Les petits dauphins m’accompagnent. Ils étaient là les trois fois où j’ai manœuvré dehors, hier soir. Et à nouveau ce matin. Je ne me lasse pas de les voir aussi « fluides », rapides, volant presque, à la surface de l’eau, sans effort apparent. De vraies boules de muscles.
Dauphin volant...
Ce matin donc, avant la vacation de 07:00, j’ai pu récupérer des gribs. J’arrive à temps : un système dépressionnaire se met en place. Une dépression se creuse, vite, au SE des Açores. 40 kn (plus les rafales) prévus dans la nuit de lundi à mardi sur Santa Maria. Plus de 50 kn pas loin au sud. Il vaudrait mieux ne pas trainer en route. Les 51 m² du génois seraient un gros plus : nous avons maintenant une douzaine de nœuds de SE (travers) et marchons tout de même pas mal à presque 5 kn avec la trinquette. D’un autre côté, je ne voudrais pas perdre du temps avec des manœuvres hasardeuses… J’attendrai donc que ça ralentisse. Ou bien on verra à Horta.
Le temps s’est largement radouci. A l’abri du vent il fait bon et je ne mets plus la polaire depuis hier après-midi. Au point d’envisager une toilette sur le pont !
C’est drôle. Je me sens presque arrivé alors qu’il me reste encore dans les 200 nm à courir. Près de deux fois la traversée de la Manche (Roscoff-Scilly). Seraient-ce les chevilles qui enflent ?
Une heure (presque !) de sieste : personne à vue d’AIS. Et la vie va mieux : on avance, les voiles portent bien (quasi-travers) et on passera l’après-midi entre 5 et 6 kn. C’est bien, parce que je préférerais arriver dimanche : la « vilaine » dépression se creuse toujours au SE des îles. J’aimerais mieux être vite au port.
Le frigo a l’air d’aller mieux. Il était à 12°C depuis… je ne sais trop quand, mais est revenu à 5°C.
Hier j’ai jeté à la mer un « beau reste » de talon de jambon cru, franchement douteux. Par 3 ou 4000 m de fond. « Interminable descente solitaire. Les objets ne racontent pas », écrivait Alain Hervé à propos d’un extincteur. Mais le jambon a peut-être rencontré un charognard. Je ne sais quel genre de crabe va tomber dessus ! Mais il est probablement – avec son pote le melon un peu vert – à l’origine d’une indisposition passagère et malvenue.
Ce midi : galettes de blé noir. Dommage que j’ai décidé de ne pas déboucher le cidre ! Ayant déjà terminé les bananes… à temps, je conclus ce repas par un demi-pamplemousse, bienvenu. J’aurais de quoi tenir encore une semaine en fruits frais. Après ces agapes, je rêverais d’enchainer avec une nouvelle sieste. Mais outre la présence de deux ou trois cargos « à proximité », bien que toute relative, j’avais décrété une grande toilette. Donc shampooing et vêtements propres. C’est le luxe ! Il fait vraiment bon. A 16:00 je tiens encore en T-shirt, à l’intérieur tout de même. C’est la première fois depuis le départ.
Samedi 3 juin 2023
Rien ne se passe comme prévu. Dans la soirée d’hier, le vent de SE forcit. Pétrel va bien. Je songe à prendre un ris avant la nuit, mais comme les gribs sont rassurants, je n’en fais rien.
Sans témoin... pas de ridicule !
Vers 22:00 il me faut manœuvrer (abattre un peu) pour assurer un croisement serein avec un très gros cargo. J’ai raté son image dans les restes du couchant. Dommage.
Le vent reste soutenu toute la nuit (15 à 18 kn) et Pétrel avance bien.
L’AIS est un instrument merveilleux pour surveiller les cargos, voire les pêcheurs plus près des côtes. Mais les AIS de « type B » des petits bateaux de plaisance sont beaucoup moins puissants et dotés d’antennes moins hautes. Leur portée à l’émission est limitée, comme j’ai pu le vérifier : à 05:30 ce matin, au sortir anticipé d’une sieste de 45 mn – vent forcissant et tournant au SSE – je découvre que nous allons croiser d’assez près (1,7 nm) un voilier « solo sailor ». Une demi-heure plus tard le vent souffle à 25 kn sur une mer lissée par une forte pluie. Cela ressemble au passage d’un front chaud, avec nuages de stabilité et baromètre descendu régulièrement. Heureusement que le voilier n’est pas passé 1,7 nm plus près car nous étions « à ça » de faire connaissance de déplaisante façon, dormant probablement tous les deux ! Cela dit les alarmes se seraient déclenchées (celle de l’AIS de Pétrel est calée sur 1 nm. Il faudrait d’ailleurs que je trouve comment la régler sur une distance supérieure).
Une autre demi-heure a passé. Changement de décor : le vent faiblit et tourne brutalement à l’WNW - 6 kn. Le ciel se dégage. Front froid ? Ras-le-bol et peu dormi. Au téléphone avec Christine, je décide de mettre au moteur, ce que je fais vers 08:45, après avoir affalé et rabanté la trinquette. Et je me prépare un petit déj’.
A 10:30 je décide de stopper le moteur : les batteries sont rechargées à 96,4 % et les panneaux solaires devraient suffire à couvrir les besoins du pilote, par ce temps. Petite « bulle » au soleil.
A 13:15 il fait trop… chaud ! Moite. Je suis rentré à l’intérieur et fais tourner des routages. L’un d’eux me convient : sans l’usage du moteur, il prévoit une arrivée à Horta lundi midi. Cela dit les calculs doivent intégrer l’usage du génois. Or je reste sous GV seule pour limiter les battements incessants des voiles, liés aux vagues. On verra bien. Il reste 100 nm à parcourir. Mais la dépression secondaire reste d’actualité pour GFS (modèle météo américain). Elle devrait concerner Horta dès lundi après-midi
Lesté de deux galettes (toujours sans cidre : quelle force de caractère !), je me sens comme un besoin d’activité. La marche postprandiale m’étant interdite, le vent faible, juste une petite houle et un beau soleil, je m’attelle à la question du génois. Pour le hisser, le winch m’est indispensable. Il me faudra donc m’installer en pied de mat. Mais il n’est pas facile de maintenir la ralingue du génois en bonne position pour l’insérer dans la gorge de l’enrouleur. Donc il faut être dans le balcon avant. Faute du don d’ubiquité, principale carence du navigateur solitaire, j’avais pensé me servir du guindeau, en utilisant le winch de mât comme renvoi de la drisse. Seulement, la plage avant est très encombrée (deux voiles d’avant affalées). La baille à mouillage, où est installé le guindeau, est de ce fait difficile à ouvrir. J’y renonce et m’efforce donc de disposer la ralingue en zigzag au pied de l’étai, d’en insérer un maximum à la main dans l’enrouleur (de moins en moins lorsque le poids de la voile s’accroît) et de me «précipiter» au pied de mat reprendre le «mou» ainsi gagné, plus quelques centimètres – au mieux quelques dizaines – avant que la ralingue ne coince à nouveau. Plusieurs fois il me faudra revenir au winch pour relâcher un peu de drisse afin de la décoincer. Bref, au total je ne sais combien d’allers-retours. Et, au bout d’une bonne heure d’efforts, en ne cédant surtout pas à la précipitation (j’ai peur de me faire mal lors de toutes ces allées-et-venues), le génois est hissé ! Sans autre cagade (genre drisse autour de l’étai), apparemment. Et de 0,5 kn, nous passons à 1,6 ! Ça n’a l’air de rien, mais le sur-place est usant pour les nerfs. Ce qui nous permet de quitter les étonnants reliefs sous-marins de Borda Seamount, à 63 nm au NE de l’île de Graciosa, qui s’élèvent jusqu’à 420 m de la surface depuis un « fond » situé à environ 2000 m (j'ai eu le temps de contempler la carte !).
Heureux d’avoir résolu la « question génois », je me sens particulièrement serein.
Dimanche 4 juin 2023
La petite brise ira en diminuant encore et, au lever du jour, c’est le calme plat. Avec un réveil en sursaut, incrédule et un peu désorienté : je n’ai pas entendu (ou, plutôt ignoré, je pense) la sonnerie de mon réveil, pourtant bien audible ! J’ai dormi près de deux heures d’affilée. Tant qu’à faire, autant avoir pris ce risque au large, par calme plat et arriver presque reposé (tout est relatif !) dans les îles et le trafic. Je sors donc, un peu hagard, dans le cockpit où je suis accueilli par les joyeuses démonstrations du groupe de petits dauphins qui m’avait accompagné hier durant l’épisode « génois ». Autosuggestion? Anthropocentrisme? J’ai peur de me laisser berner, mais je veux croire que ces jeux, ces bonds, ces glissades à la surface de l’eau, souples et fluides mais d’évidence puissants, sont l’expression d’une joie de vivre profonde et simple.
Comment pouvons-nous nous pourrir la vie – sans parler de la planète – alors que de tels « bonheurs », certes frugaux, pourraient nous être accessibles ?
L’exceptionnelle sérénité de ce petit matin restera pour moi un moment important de cette traversée. C'est peut-être ce que je suis venu chercher...
Mais il ne faut pas rester là : à l’horizon les nuages s’amoncellent. Moteur, génois roulé.
A 09:40, je réalise que l’on voit la TERRE !
Pas Graciosa que je cherche à distinguer depuis un moment, mais les reliefs plus élevés de Terceira, bien plus à l’est sur l’horizon, loin à gauche de Graciosa. Rien de bien spectaculaire : une petite masse bleutée, à peine visible, je pense, sur les images que je ne manque pas de faire.
Une heure plus tard, une petite brise se lève. Du sud. Je saute sur l’occasion de stopper le moteur. Le soleil finira de recharger les batteries. D’autant que je m’efforce de baisser le « gain » du pilote lorsque ses performances sont superflues. Et les ENR arrivent parfois à couvrir sa consommation.
Les qualités de Pétrel m’étonnent encore : lorsqu’aucun clapot ne vient « pourrir » ses performances, comme c’est actuellement le cas, il arrive à avancer à 4,5 kn au près bon plein avec 7 kn de vent réel.
Puis le vent forcit et tourne à l’E. Avec 17 kn de vent désormais de travers, nous atteignons les 6,6 kn stabilisés, à 2,5 nm de Graciosa, maintenant bien visible. Nous entrons dans son dévent.
Les routages me prédisent maintenant une arrivée à Horta… en pleine nuit. Mais, sur cette eau apaisée nous avançons plus vite que ne le prévoient les calculs théoriques.
Nous sommes dimanche. Les documents dont je dispose (Imray, Reed’s) s’accordent sur les heures d’ouverture du bureau de la marina de Horta et sur son fonctionnement 7 jours sur 7 en saison. Or cette dernière bat son plein ici : c’est le retour des « boucles atlantiques » avant la saison des cyclones aux Antilles et plus au nord.
Qui dit proximité des îles dit potentiel réseau téléphonique. Effectivement, une pâle «2G» se manifeste.
J’en profite pour annoncer « TERRE ! » de vive voix à Christine. Puis pour appeler Horta. Mais personne ne répond, ni à la Marina ni, plus étonnant, au Bureau du port. L’idée étant de savoir s’ils peuvent assister les manœuvres d’un vieux « solitaire-débutant ». Et lui assigner une place. Mais rien à faire.
Christine me rappelle. Elle a réussi à joindre le Port. Il est plein. Pas de place à la marina et une semaine de liste d’attente. Possible de mouiller dans l’avant-port.
Bon. D’un certain côté cela limite le besoin d’être au four et au moulin durant les manœuvres. Mais je commence à stresser et à redouter le travail à accomplir avant une arrivée nocturne, en solo.
En attendant, Pétrel file, vent de travers, à 6 kn et plus par 15 à 17 kn de brise d’E.
En approchant des Açores
Et puis c’est le dévent, à 4 nm de São Jorge, qui me paraît être une île élevée aux falaises superbes : il n’y a plus que 8 kn d’ENE.
A la vitesse où nous allions, « l’hypothèse-d’une-arrivée-juste-avant-la-nuit » devient envisageable. Alors, ne perdons pas de temps : moteur. Pour ½ h. Car, à la sortie du dévent, ce sont 20 kn d’ESE qui nous cueillent, tout dessus, et qui, durant 1 h 1/2 nous pousseront à une vitesse rarement atteintes par Pétrel. J’ai noté jusqu’à 7,6 kn stabilisés !
La suite des manœuvres à effectuer pour l’arrivée mature lentement, de façon semi-consciente.
Aussi quand, vers 20:15, le vent mollit à 9 kn alors que nous sommes dans le chenal entre Faial et Pico (la bien nommée avec son pic extraordinaire et ennuagé), je roule le génois et démarre le moteur. Tout en continuant à avancer donc, et, stabilisé par la GV même s’il n’y a pas beaucoup de vagues, je suis relativement à l’aise pour aller sortir le mouillage de sa baille (je n’ai pas laissé l’ancre dans la ferrure d’étrave pour la traversée) : dérouler de la chaîne, porter l’ancre dans le davier, préparer l’orin.
A ce sujet, j’ai rarement oringué, et toujours en équipage. Jamais seul tout en filant la chaine, assisté il est vrai par le guindeau commandable aux pieds. Bref là aussi il s’agit d’une première et j’ai, disons, un peu le trac.
Tout s’enchaine bien. Le jour tombe (le soleil s’est depuis longtemps couché derrière Faial). Horta apparait derrière la haute Ponta de Espalmaca qui ferme la baie au nord. Et le vent, devenu irrégulier, se calme pour un moment… que je ne laisse pas passer : GV déventée (même pas « bout-au-vent ») = « On affale ! ».
Et vite !
OK elle est en bas. Mais faute de lazy jacks (ils ont rendu l'âme il y a quelques jours, cisaillés entre la GV et la barre de flèche), elle pend lamentablement sur le pont et le roof, en masquant largement la visibilité vers l’avant. Je la rabante tant bien que mal et, vite, nous dirige vers le port, dans le chenal et dans l’obscurité naissante.
A 21:30 nous passons entre les digues.
J’avais beau être prévenu par l’AIS, c’est le choc. Alors que je n’ai rencontré âme qui vive en mer, ici c’est la foule…
Plein comme un œuf !
Des bateaux – des voiliers ! – partout. Déjà, dès l’entrée de l’avant-port, je rencontre plusieurs grands bateaux au mouillage, guère protégés, dont un très grand catamaran. A bâbord, le long de la digue, quelques cargos et bateaux de travail. Largement éclairés. Et sur tribord, la ville avec ses monuments illuminés et ses marinas, derrière un rideau de mâts. Plusieurs rangs (jusqu’à 4) de voiliers « à couple » le long des quais et pontons (d’accueil, en particulier) et, surmontés de leurs feux de mouillage, véritables lucioles : des dizaines (voire des centaines ?!) de voiliers au mouillage dans l’avant-port.
J’avance au ralenti, à la recherche d’un espace pour mouiller. Passé l’entrée de la marina (bassin nord), face aux bureaux du port, je repère dans la pénombre une zone de moindre densité, où la carte suggère un fond de sable. Gaz coupés, arrivé à l’endroit voulu, je mouille, en laissant filer l’orin. Mais l’ancre glisse (sur quoi ?) et la manœuvre est à réitérer. Pas simple, avec l’orin.
Je remonte donc l’ensemble et refais un tour. Heureusement le vent est alors très faible. La seconde tentative est la bonne : l’ancre glisse un peu puis croche. Je file 30 m de chaine. Il ferait maintenant nuit noire si les projecteurs de l’activité portuaire de commerce étaient éteints.
Il est 22:00. Je suis arrivé.
Soulagé. Satisfait. Fatigué. Cependant – est-ce dû à ma panne d’oreiller ? À une réserve d’adrénaline ? – moins que je ne l’imaginais.
Je commence par ranger un peu, appeler Christine, faire quelques sms, envisager de manger quelque chose, ajouter deux lignes au livre de bord, …
L’idée de faire part de cette arrivée (et plus largement des pérégrinations de Pétrel) à mes parents, décédés en 2020, traverse mon esprit embrumé… Je crois que ça leur aurait fait quelque chose… dix ans plus tôt.
Ce n’est pas la première fois que j’y pense : j’ai, en quelque sorte, fait fructifier le goût pour la mer, la voile et la croisière qu’ils m’ont transmis dans mon enfance. J’aurais envie de les en remercier enfin. Trop tard.
Je n’arrive pas à aller dormir.
Pourtant ma bannette me tend les bras : plus besoin de rester dans le carré ni dans mon sac de couchage.
Mon téléphone capte l’Internet et je constate que Pierrick II a consacré un véritable reportage à mon équipée, sur Facebook. Sympa, mais j’en suis un peu gêné, n’ayant pas l’impression d’avoir réalisé quelque chose d’exceptionnel : tous les bateaux présents à Horta ont au moins autant de mérite !
(à suivre...)
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