Carthagène 23 – 26 août 2018
Notre arrivée au matin, devant Carthagène nous a fait découvrir une rade surmontée de collines, toutes fortifiées, avec une première anse à l’est (port industriel), protégée par une île et une digue la prolongeant, et au fond Carthagène et son port, lui aussi protégé par deux autres collines fortifiées.
Il s’ouvre en deux anses, l’une à l’est, l’autre à l’ouest. Celle à l’est est occupée par les pêcheurs, et les porte-conteneurs…
…et celle à l’ouest par l’arsenal.
Entre ces deux anses, abritées par les hautes collines, la partie plaisance est un peu plus ouverte au large, mais des digues importantes assurent une bonne protection, même si la houle se réfléchit un peu.
Nous avons choisi de prendre nos quartiers au Real Club Regatas de Carthagène. Nous y recevons un bon accueil : un marin est là pour nous aider à passer les amarres, le port est gardienné, l’ensemble est propre, et les sanitaires dans les locaux de l’école de voile légère aussi, quoique l’accès en soit étonnant…
Nos premières heures à Carthagène se passent, comme d’habitude après une traversée, à nettoyer et dessaler le bateau. Puis, nous mettant à l’heure espagnole, nous partons dans les rues de la ville à la recherche de magasins d’alimentation. Cela nous permet de commencer à nous imprégner de cette ville surprenante. L’après-midi, après la sieste nécessaire, est consacrée à la recherche du seul shipchandler du port. Après avoir erré dans les rues adjacentes au port des pêcheurs, à l’est des murailles de la vieille ville, nous finissons par le trouver : il nous faut des colliers pour assurer la fixation du tuyau d’évacuation des gaz et eau d’échappement et un raccord rapide pour les tuyaux d’eau… Peu de choses et beaucoup de temps passé à chercher le magasin…
Nous rentrons au bateau, décidés à remettre au lendemain les travaux et la découverte de la ville.
Les travaux ont vite été réglés puisque notre réparation en mer tient bon…
La ville de Carthagène s’enorgueillit d’un long passé, à juste titre ! Elle a été fondée en 227 avant Jésus-Christ par les Carthaginois.
Nous replongeons dans l’histoire antique et plus précisément dans l’épisode des Guerres Puniques qui opposèrent Rome à Carthage durant le 3° siècle avant Jésus-Christ.
Hamilcar, roi de Carthage, a gardé et transmis à son fils Hannibal, une rancune tenace contre les Romains qui ont expulsé les Carthaginois de Sicile et Sardaigne, les privant ainsi de comptoirs commerciaux. Hasdrubal, gendre d’Hamilcar, fonda Carthagène, en Espagne, convaincant le sénat carthaginois d’exploiter les mines d’argent et de plomb de cette région, pour relancer l’économie carthaginoise. Le site naturel antique en faisait un port sûr.
La rivalité entre Rome et Carthage prend de l’ampleur, et en 218 av.J.C. Hannibal entreprend sa marche sur Rome, avec ses troupes et ses éléphants, à travers les Alpes, laissant la garde de Carthagène à son frère Magon. Scipion l’Africain saisit cette opportunité pour venger la défaite et la mort de son père et de son oncle devant Carthagène, et pour construire sa propre gloire également ; en 209, il décide de mettre le siège devant Carthagène.
Voici ce qu’en dit l’historien grec Polybe (Histoires Livre X) :
« Là-dessus il (Scipion) jugea d'abord qu'il n'était pas nécessaire de livrer une bataille rangée; car, prenant ce parti il faudrait ou combattre tous les ennemis rassemblés, et alors ce serait tout hasarder tant à cause des pertes précédentes, que parce qu'il avait beaucoup moins de troupes que les ennemis ; ou n'en attaquer qu'un détachement, auquel cas il craignait que celui-ci mis en fuite et les autres venant à son secours, il ne fût enveloppé et ne tombât dans les mêmes malheurs, que Cnéius son oncle et Publius son père. Il se tourna donc d'un autre côté.
Sachant déjà que Carthage-la-Neuve fournissait de grands secours aux ennemis ; et qu'elle était un très grand obstacle au succès de la guerre présente, il se fit instruire pendant les quartiers d'hiver, par des prisonniers, de tout ce qui concernait cette ville. Il apprit que c'était presque la seule ville d'Ibérie qui eût un port propre à recevoir une flotte et une armée navale; qu'elle était située de manière à ce que les Carthaginois pouvaient commodément y venir d'Afrique, et faire le trajet de mer qui les en séparait ; qu'on y gardait une grande quantité d'argent, que tous les équipages des armées s'y trouvaient ainsi que les otages de toute l'Ibérie et ce qui était le plus important, qu'on n'y avait levé que mille hommes pour garder seulement la citadelle, parce qu'il ne venait dans l'esprit à personne, que les Carthaginois étant maîtres de presque toute l'Ibérie, quelqu'un osât songer à mettre le siège devant cette ville ; qu'il y avait à la vérité d'autres habitants dans la ville que les Carthaginois, même en grand nombre, mais artisans pour la plupart, ouvriers, gens de mer, tous très ignorants sur la science de la guerre ; et qui ne serviraient qu'à avancer la prise de la ville, si tout d'un coup il se présentait.
Il n'ignorait non plus ni la situation de la ville, ni les munitions qu'elle renfermait, ni la disposition de l'étang dont elle est environnée. Quelques pêcheurs l'avaient informé qu'en général cet étang était marécageux, guéable en beaucoup d'endroits, et que fort souvent vers le soir la marée se retirait. Tout cela lui fit conclure que, s'il venait à bout de son dessein, il désolerait autant les ennemis qu'il avancerait ses propres affaires ; que si cela manquait, il lui serait aisé, tenant la mer, de se retirer sain et sauf, pourvu seulement qu'il mit son camp en sûreté ; chose qui n'était pas difficile, vu l'éloignement où étaient les troupes des ennemis.
Comme nous avons à rapporter le siège et la prise de cette ville, il faut en faire connaître la situation ainsi que celle de ses ennemis. Carthage-la-Neuve est située vers le milieu de la côte d'Espagne, dans un golfe tourné du côté du vent d'Afrique. Ce golfe a environ vingt stades de profondeur et dix de largeur à son entrée. Il forme une espèce de port, parce qu'à l'entrée s'élève une île, qui, des deux côtés, ne laisse qu'un passage étroit pour y aborder. Les flots de la mer viennent se briser contre cette île, ce qui donne à tout le golfe une parfaite tranquillité, excepté lorsque les vents d'Afrique, soufflant des deux côtés, agitent la mer. Ce port est fermé à tous les autres vents par le continent qui l'environne. Du fond du golfe s'élève une montagne en forme de péninsule, sur laquelle est la ville, qui du côté de l'orient et du midi est défendue par la mer, et du côté de l'occident par un étang qui s'étend aussi au septentrion ; en sorte que, depuis l'étang jusqu'à la mer, il ne reste qu'un espace de deux stades, qui joint la ville au continent. La ville vers le milieu est basse et enfoncée. Au midi, on y arrive de la mer par une plaine, le reste est environné de collines ; deux sont hautes et escarpées, et trois autres d'une pente beaucoup plus douce, mais caverneuses et de difficile accès.(…) Pour la commodité des artisans qui travaillent sur les vaisseaux, on a établi une communication de l'étang à la mer, et sur la langue de terre qui sépare la mer de cet étang on a bâti un pont pour les bêtes de charge et les chariots qui apportent de la campagne les choses nécessaires à la vie. Par cette situation des lieux, la tête du camp des Romains était en sûreté, défendue qu'elle était par l'étang et par la mer qui était à l'autre côté. »
Ainsi Scipion l’Africain a pris Carthagène en envoyant ses troupes par l’isthme, où on les attendait, mais aussi par la mer, et par l’étang, profitant du reflux du soir, où on ne l’attendait pas, puisque ses troupes purent installer les échelles et prendre les murailles sans être refoulées par les Carthaginois, concentrés vers l’isthme…
Les Romains conscients des qualités défensives de la muraille construite par Hasdrubal l’ont restaurée et renforcée, donnant un essor romain à la cité punique. Le « Centre d’Interprétation de la Muraille Punique » comprend la récupération des restes de l’ancien mur carthaginois : il est composé de deux parois parallèles, fabriquées avec de gros blocs de grès, et reliées entre elles par des casemates, sur plusieurs niveaux : l’un servant aux chevaux, le second aux soldats, et le dernier étant le chemin de ronde ; cette muraille devait atteindre une hauteur de 10 m environ. Le bâtiment moderne, par son architecture, permet d’avoir une idée de cette muraille.
Une projection audio-visuelle retrace la fondation de la cité par Hasdrubal et sa conquête par le général Publius Cornelius Scipio, en 209. Une exposition rappelle aussi que les jeux des gladiateurs sont une tradition funéraire carthaginoise que Scipion a importé à Rome après sa conquête.
La riche histoire de cette ville se retrouve dans son sous-sol, et il n’est pas rare, de trouver des portions du « Decumanus » ou du « Cardo », au milieu d’une rue, sous une dalle de verre dans un magasin…
Le forum est lui aussi bien conservé avec des colonnades, des podium de temples, un ensemble thermal, le tout abrité sous une toiture moderne et translucide ; mais le monument le plus impressionnant est le théâtre antique, mis au jour en 1988, sur la colline de la Concepcion, derrière les ruines de l’ancienne Cathédrale Major.
Les colonnes et le fond de scène allient les roses et ocres des marbres et pierres les constituant.
La Casa de la Fortuna est une maison romaine découverte dans les sous-sols d’immeubles : la visite, très pédagogique, permet de comprendre la disposition des pièces, d’admirer la décoration (les restes de fresques ont été restaurés, et préservés sur place ainsi que les mosaïques), le tout dans une atmosphère un peu feutrée puisque nous sommes sous les maisons, dans la pénombre…
L’amphithéâtre est lui aussi surprenant, puisque les arènes se sont élevées sur les bases du monument romain.
L’ensemble des sites mis au jour est daté des environs du premier siècle avant Jésus-Christ, et souvent les excavations ne datent que des années 1980-1990. De ce fait, les sites sont très bien mis en valeur.
Cette richesse antique de la ville semble avoir une contrepartie, puisque de nombreux immeubles du centre-ville ne sont que des façades, soigneusement étayées, derrière lesquelles les terrains sont à l’abandon.
Sans doute que la moindre velléité de reconstruction risque de mettre au jour d’autres éléments de la cité antique…
L’autre aspect surprenant est la façade imposante de la Cathédrale Major, qui était incorporée à la fortification construite par le roi Carlos III.
Cette cathédrale a été détruite lors de la guerre civile, Carthagène étant la dernière cité à résister au Général Franco… Elle n’a pas été reconstruite, et ses ruines dominent le théâtre antique.
Nous avons aussi fait un bond dans l’histoire en visitant le Musée Naval, puisque Carthagène a été le port militaire espagnol du Levant et de la Méditerranée : de nombreuses maquettes de vaisseaux, galères, des « chefs-d’œuvres » d’élèves officiers…
…les premiers radars, les mines et les dragueurs de mines, les premiers scaphandres (puisque c’est à Carthagène que les premières plongées eurent lieu, et qu’ensuite les avancées technologiques de Cousteau ont été reprises) et surtout le premier sous-marin fonctionnel. Il a été conçu et réalisé par Isaac Peral, et a navigué pour la première fois en 1888, et est exposé dans un hall de l’arsenal.
Cette cité nous a charmés, par son architecture,
ses statues jalonnant les rues.
Nous ne sommes pas les seuls à avoir été conquis : Miguel de Cervantès a composé quelques vers à son sujet, et Pline l’Ancien, dans ses Histoires Naturelles (Livre XXI), étudiant les roses, dit : « … à Carthagène en Espagne [grâce au terroir], il y a des roses précoces pendant tout l’hiver. »
La végétation est riche et les arbres sont parfois surprenants !
Après ces quelques jours d’escale, nous repartons pour Gibraltar, le dimanche 26 août en fin de matinée…
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