31 mai – 11 juin 2022 Traversée Mer Caraïbe Saint Martin – Cabo Tres Puntas (Guatemala)
Le 31 mai, vers 15h30, nous appareillons de Saint Martin, après avoir retardé notre départ pour partager un déjeuner avec Peter arrivé la veille au soir de ses navigations dans les Bahamas. Il aurait été dommage de ne pas prendre ces quelques heures amicales avec lui ; nous ne nous étions pas revus depuis qu’il avait quitté la Martinique en novembre dernier, et même si nous avions pu suivre ses périples grâce à ses publications, nous avions des expériences à partager. Par ailleurs, la distance à parcourir pour atteindre notre but ne nous permet de définir ni date ni horaire précis d’arrivée. Notre seule contrainte est d’être dans les eaux guatémaltèques pour la pleine lune le 14 juin. En effet, à ces périodes, le marnage est un peu plus important et les quelques vingt centimètres de plus ne sont pas à négliger pour franchir plus aisément le seuil limoneux déposé par le Rio Dulce à son embouchure.
La nouvelle lune a commencé sa croissance la veille et nous pourrons contempler sa progression depuis son mince croissant dans le soleil couchant jusqu’au globe blanc complet, les nuits sans nuages…
Les premières nuits, une fois la lune couchée, nous naviguons sous un beau panel d’étoiles et constellations à essayer de repérer, depuis la Croix du Sud, jusqu’à la Grande Ourse, en passant par les myriades d’étoiles de la Voie Lactée, qui apportent un peu de luminosité sur l’eau noire. La Croix du Sud apparaît en début de nuit, assez basse sur l’horizon, pour s’incliner dans l’eau au milieu de la nuit ; quant à la lune, son croissant diffuse une lumière jaune de plus en plus forte et de plus en plus pâle sur l’océan. Mais ces moments à contempler les étoiles ont souvent été contrariés par les nuages… Au départ, notre route est encore proche des îles, au Sud de Porto Rico ou entre les Iles Vierges et Sainte Croix et les halos de leurs éclairages nous accompagnent également. L’eau noire de la nuit s’éclaire du plancton, qui dans le sillage du bateau ressemble à des ballons phosphorescents rebondissant sur l’eau.
Peu avant l’aube, une dernière étoile lumineuse, d’un jaune plus marqué, apparaît à l’est, grandit sur l’horizon, faisant croire qu’un feu sur un mât nous rattrape ; puis le soleil levant fait pâlir les dernières étoiles.
Commence alors une nouvelle journée de navigation, dans la sorte de soulagement du jour naissant, après la nuit et ses mystères. Lors du point, à chaque heure, la distance parcourue semble bien courte au regard de celle à couvrir, puis à midi, en reportant le point sur la carte, l’addition des milles parcourus redonne de l’allant : des étapes décevantes autour de 120 milles, et d’autres plus encourageantes de 150 milles. Les points tournants également, sont des moments d’encouragement : au sud-ouest de Porto Rico, nous sommes heureux des 265 premiers milles parcourus ; nous attendent alors 637 milles jusqu’au point suivant ; quand on s’en approche, on se projette, sur le suivant, (à 150, ou à 184 milles) et de point en point, les milles parcourus s’accumulent jusqu’au dernier point à l’entrée de la Baie d’Amatique qui n’est plus qu’à une vingtaine de milles, lors de notre dernière nuit de navigation, une fois passées les îles du nord du Honduras (Guanaja, Roatan, et Utila).
Au total, nous avons parcouru 1583 milles en 11 jours et 16 heures. Cela laisse bien le temps de prendre le rythme de la vie en mer, pour cette traversée de la Mer Caraïbe parachevant notre Transatlantique.
Nous avions établi une route théorique depuis Saint Martin, rejoignant celle proposée par notre guide Route de Grandes Croisières de Jimmy Cornell, au départ d’Antigua. En effet, Saint Martin et Cabo Tres Puntas au Guatemala (notre point d’arrivée) ont un peu plus de deux degrés de latitude de différence, Saint Martin se trouvant plus au nord. Néanmoins il est nécessaire de rejoindre quelques points tournants sans tracer une route droite vers l’ouest-sud-ouest, soit pour éviter d’être trop proches des îles sur le début de la route, soit pour éviter bancs et récifs qui émergent ou affleurent entre le sud de la Jamaïque et le nord-est du Honduras. De plus, les remontées des fonds sont assez vertigineuses, et en quelques milles on passe de 5000 mètres à moins de 20 mètres de fond ; cela peut engendrer des mers difficiles.
Cette route théorique s’est ensuite adaptée au vent et aux prévisions météo (que nous pouvions consulter grâce à notre téléphone satellite). Nous espérions que le vent s’établirait assez vite au sud-est, ce qui nous aurait permis une navigation relativement confortable. Malheureusement, le vent est resté de tendance est ou est-sud-est, nous contraignant à tirer des bords pour ne pas être trop vent arrière. Par deux fois, nous avons opté pour une remontée vers le nord pour reprendre ensuite notre route plus confortablement. La deuxième fois, entre le sud de la Jamaïque et le nord-est du Honduras, nous avons bénéficié du courant qui s’amorce devenant ensuite le Gulf Stream. Ce furent quelques heures de navigation beaucoup plus confortable et plus rapide, nous donnant la sensation de ne pas perdre trop de temps à tirer des bords…
Nous n’avons pas croisé, doublé, aperçu de voiliers suivant une route similaire à la nôtre ; nous en avons croisé cabotant entre les Iles Vierges et Sainte Croix ; ensuite entre Jamaïque et Honduras, nous avons croisé de nombreux méthaniers, pétroliers et quelques porte-containers, suivant leurs routes commerciales entre Golfe du Mexique et Mer Caraïbe. Avec l’aide du GPS traceur que nous avons installé cet été, équipé d’un AIS, la surveillance est rendue plus aisée et les distances minimum de croisement beaucoup mieux estimées ; certains soirs c’est dans la brume d’un grain qu’il a fallu distinguer la silhouette des bateaux.
Mise à part une belle daurade s’irisant du jaune au vert et au bleu, venue se prendre à notre leurre, en début de traversée, nous n’avons rien pêché, si ce n’est des sargasses ;
qu’elles s’étirent en longues traînées dorées dans la mer agitée ou qu’elles forment de lourds tapis roux calmant la mer bleu-roi, elles s’accumulent sur le fil le long du leurre créant du poids et faisant parfois filer la bobine comme si un poisson s’était pris dans l’hameçon !
Quelques couples d’oiseaux pélagiques ont parfois pris le temps de nous saluer dans la douceur du jour finissant. A l’approche du Honduras, les orages sont devenus plus fréquents la nuit, mais ont eu la délicatesse de rester assez lointains, seule la pluie est venue rincer quelque peu le bateau.
D’une manière générale, cette traversée s’est bien déroulée ; la houle nous prenant par le flanc arrière ne l’a pas rendue confortable pour autant. Pour les quarts de nuit, nous avons réussi à trouver des durées variables de veille (3 heures - 4 heures - 3heures) nous permettant, sur deux jours, de dormir suffisamment, puisque celui qui le premier jour veillait en début de nuit, dormait en début de nuit le lendemain. Quelques moments, mieux positionnés par rapport à la houle, permettaient de prendre soin du bateau : rinçage du sel déposé sur le plexiglas de la casquette, ou consolidation des rivets qui fixent le tube de l’enrouleur sur le tambour.
Les a-coups du génois déventé par la houle dans un vent un peu faible en ont fait sauter quelques-uns ; notre pince à riveter ne nous permettant pas d’utiliser des rivets à la bonne taille, nous avons posé une sorte de pansement pour éviter que les derniers ne sautent. A cela se sont ajoutés un début de nuit passé dans la cale moteur pour détendre et réaligner la courroie de l’alternateur d’arbre (trop tendue, elle faisait vibrer anormalement le moteur), puis la panne définitive de l’alternateur d’arbre. La réparation de Saint Martin n’a pas tenu et nous avons repris plus souvent la barre pour économiser l’énergie. En vent arrière, les panneaux solaires étaient souvent à l’ombre d’un mât ou d’une voile, et ne fournissaient pas suffisamment d’énergie pour compenser l’usage du pilote. Quelques heures de moteur le soir ou au petit matin étaient nécessaires pour pallier cette déficience ; au total, nous avons fait près de 77 heures de moteur.
Au petit matin du 11 juin, nous contournons le Cap de Tres Puntas dans la Baie Amatique, au sud de la presqu’île du Yucatan. Le soleil levant nous dévoile cette terre qui est le but de notre traversée.
Nous nous en approchons ; quelques toits et pontons apparaissent au bord de l’eau, émergeant d’une forêt dense et bien verte. Mais pas un bateau n’est mouillé devant les plages, dans les anses ouvertes sous ce cap long et fin tourné vers le nord-ouest. Un groupe de dauphins, adultes et jeunes, nous accompagne alors que nous progressons lentement, nous fiant à nos cartes et à notre sondeur pour mouiller dans les eaux calmes et sombres d’une des anses ; puis l'un d'eux nous salue d'une pirouette sur la queue avant que le groupe ne reparte...
Le silence, le calme de cet endroit nous surprennent et nous submergent, une fois l’ancre au fond de l’eau et le moteur éteint. Au loin, on entend en bruit de fond le ronflement de l’océan de l’autre côté du cap. Puis avec la chaleur du jour, le bruissement et le crissement strident des insectes et autres animaux emplissent le lieu.
Nous sommes arrivés au terme de notre traversée, fatigués et heureux de l’avoir ainsi accomplie. De l’autre côté de la baie, nous n’arrivons pas à distinguer Livingston, notre port d’entrée au Guatemala, que nous rallierons dans quelques jours.
Nous sommes au calme sous le cap, en attendant les jours de pleine lune, et nous pouvons nous reposer, admirant les paysages de cette côte qui paraît peu habitée, malgré quelques toits de palme.
Malheureusement la couleur de l’eau et tout ce qui flotte autour du bateau n’incitent pas à la baignade ; au matin, des hirondelles viennent nous visiter, sur l’avant et donnent à notre mouillage une allure bucolique.
Il nous reste à préparer Nissos pour franchir le seuil d’entrée du Rio ce qui va nécessiter de frapper une amarre en haut du grand mât pour le faire gîter avec l’aide d’un remorqueur. Ce moment sera forcément intense en stress pour l’équipage peu habitué à ces acrobaties… ensuite, nous naviguerons en eau douce, ce qui n’a pas dû arriver souvent à Nissos !
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