La Grande Traversée 28 novembre – 14 décembre
Avant toute chose, il convient de prendre du recul…. Il y a, tous les ans, plusieurs milliers de voiliers qui traversent l’Atlantique. Des voiliers de toutes tailles, avec des équipages très différents – entre le solitaire, la bande de copains, la famille avec enfants en âge scolaire, la famille avec de grands enfants… Il ne s’agit donc surtout pas d’un exploit, quoiqu’en pensent nos familles qui ont la gentillesse d’admirer notre témérité…Néanmoins, traverser un océan est quelque chose de pas banal, et si certains se targuent d’avoir traversé de multiples fois dans les deux sens, lorsqu’on se lance pour la première fois, il s’agit bien d’une aventure un peu initiatique…
Nous sommes un peu dans cet état d’esprit et avons souhaité nous adjoindre la présence d’un « troisième homme » pour cette traversée, ce qui doit nous permettre de raccourcir la durée de chaque quart et d’être plus nombreux en cas de coup dur… C’est un ami de longue date qui nous accompagne, avec lequel nous faisons de la voile depuis longtemps et parrain de notre dernier fils !
Enfin, le jour fixé arrive et après avoir relevé une dernière fois le courrier sur la boîte mail habituelle, achevé les formalités vis-à-vis de l’immigration et de l’administration portuaire, nous larguons les amarres en fin de matinée. Les copains qui partiront les jours suivants sont sur la panne pour nous souhaiter « bonne mer » et nous donner rendez-vous « de l’autre côté »…
Et là, dans les premières heures de navigation, on prend conscience qu’on va être seuls pour parcourir les quelques 2 000 milles marins qui séparent Mindelo au Cap Vert du port du Marin à la Martinique !
Ces premières heures sont un peu « chaotiques » du fait du goulet constitué par l’île de São Vicente et de Santo Antão…
mais très vite le rythme de mer reprend le dessus, et chacun cherche sa place, puisqu’on peut maintenant composer à trois, alors que nous avions nos habitudes à deux… cela se fait assez naturellement grâce à l’expérience de chacun. Le passé maritime de Yann, équipier émérite sur de multiples bords, pour des destinations lointaines, puis son expérience de skipper sur son propre voilier, font de lui l’équipier « idéal » un peu tout terrain et très adaptable !
La première après-midi de mer passe donc très vite et nous voici au premier soir, avec un crépuscule très rapide, ce qui continue de nous surprendre, alors que nous vivons ce phénomène quotidien depuis quelques temps déjà !
Chaque aurore est également un spectacle étonnant, la nuit s’en va, enlevant une part de mystère à notre environnement…
il nous revient alors en mémoire ce texte bien connu de la Création : « il y eut un soir, il y eut un matin »… pour nous, il y eut 15 soirs et 15 matins (+ 17 heures) pour méditer et ne pas nous lasser du ciel étoilé qui évolue chaque nuit en fonction de la route, de l’éclairage de la lune qui devient de plus en plus fine et se lève de plus en plus tard dans la nuit , du sillage phosphorescent à cause du plancton, de la notion de vitesse, qui n’est pas la même dans l’obscurité que dans la journée…
Enfin, il y a aussi la beauté de la daurade au bout de la ligne, tachetée de bleu sur une peau dorée et qui ne se débat qu’une fois sortie de l’eau…
et cette étoile qui se lève en fin de nuit dans notre dos et qui est si brillante qu’on s’y laisse pendre en pensant qu’il s’agit des feux d’un bateau… autant de petits faits qui nous surprennent toujours dans un premier temps, avant que la raison ne l’emporte et donne une explication rationnelle à ce que l’on voit…
Les journées en mer peuvent paraître longues mais en réalité on a peu de temps à soi… entre le quart, l’entretien du bateau et les habitudes qui se sont installées au fil du temps et qui rythmaient notre temps passé ensemble, hors des périodes de repos :
Tout d’abord, le menu du prochain repas…on mange quoi à midi ? on mange quoi ce soir ? ça dépend en partie de la pêche du jour ou de la veille, car une daurade de 2 kilos, ça nous fait plusieurs repas…
Le matin, il y a le tour du pont pour ramasser le ou les poissons volants qui ont percuté le bateau et qui seront servis à l’apéritif suivant…
Le point de midi qui permet de commenter la moyenne des dernières vingt-quatre heures, la moyenne depuis le départ et très vite la distance restant à parcourir avec des supputations sur la date d’arrivée.
La météo avec les options de route pour la suite…
L’envoi de notre position aux membres de la famille grâce à notre balise satellite et la relève du courrier sur notre boîte mails Iridium… nous sommes tous les trois au-dessus de la tablette pour voir qui a répondu aux messages que nous avons envoyés la veille… avec le sentiment que l’absence ne distend pas trop les liens qui nous unissent… Comment vont les enfants, et maintenant les petits-enfants aussi… Cette séance « courrier » rappelle les camps scouts et le plaisir ressenti quand nous recevions une lettre de nos parents et qu’on partait seul pour lire son contenu… certains jours au contraire, il n’y avait rien pour nous et on se sentait d’autant plus seul que les copains, eux, étaient destinataires d’une ou deux enveloppes… Cette boîte mails servait aussi à communiquer avec les autres navigateurs rencontrés aux escales précédentes qui sont partis avant nous et nous donnent leur position et les conditions de mer rencontrées…
La préparation de la nuit avec la mise en place des lampes torches et des lampes frontales près de la barre, et sur la table du carré pour savoir les trouver même à tâtons…l’allumage des feux de navigation, des cadrans du compas, du pilote, de la girouette et anémomètre.
La lecture commune des textes du jour pour une courte méditation sur le sens nos vies…
Tous ces rites qui se sont installés un peu insidieusement ont pris une importance grandissante au fil du temps…et sont devenus des repères dans nos journées au grand large !
On ne passe pas quinze jours en mer sans avoir quelques mésaventures qui, pour nous, n’ont pas eu de conséquences trop graves :
Cette année, à cette période, l’alizé était plein est, plutôt que nord-est, comme espéré… nous l’avions donc pile dans le dos, alors qu’il est plus confortable qu’il soit orienté légèrement d’un côté ou de l’autre… Pour avancer avec efficacité dans ces conditions, il faut maintenir le génois à l’aide du tangon pour qu’il prenne le vent au maximum sans battre… le système de tangon du Maramu est un peu plus complexe que sur les autres bateaux puisqu’il est en deux parties articulées… nous avons sans doute mis trop de pression sur cet espar, ce qui a eu pour effet de faire céder l’articulation entre le tangon et le tangonnet, le tangon libéré devenant un bélier qui a balayé le pont quelques instant avant d’être maîtrisé…plus de peur que de mal donc, mais il était devenu impossible de faire du plein vent arrière ce qui nous a obligés à tirer des bords, rallongeant ainsi la route de près de 130 milles marins, soit l’équivalent d’une vingtaine d’heures en plus…
Dans les petits airs, au vent arrière, le bateau n’avance pas très vite. Pour augmenter la vitesse du bateau, nous avons envoyé le spi asymétrique normalement conçu pour tirer des bords de largue… tout en restant le plus près possible du vent arrière…et ce qui devait arriver arriva : le spi s’est enroulé autour de l’étai faisant ce que l’on appelle « une cocotte »… créant une situation critique pour arriver à défaire le tour, avant qu’il ne se serre… et n’oblige à monter dans le mât pour défaire le nœud à la main… Bien évidemment, c’est à ce moment que le vent forcit un peu, s’engouffrant dans les 100 mètres carrés de toile, ce qui ne facilite pas la manœuvre… 30 à 40 minutes intenses donc où les trois paires de bras ne sont pas de trop pour rétablir la situation et arriver à affaler sans dommage et ranger le spi, jusqu’à l’arrivée…. Il nous reste alors 597 milles à parcourir vent arrière avec une houle croisée et un génois instable !
La leçon à retenir de cet épisode, c’est qu’il ne faut pas chercher à utiliser le matériel pour un autre usage que ce pourquoi il est fait…
Tous ces avatars sont vite oubliés lorsqu’on est arrivé ! Pour nous, l’approche s’est déroulée de nuit avec des vents très changeants du fait de grains violents avec des rideaux d’eau impressionnants et des rafales atteignant 30 nœuds… Nous avons mouillé vers 5 heures du matin (heure locale) devant la plage de Ste Anne, un peu au large afin d’attendre d’y voir plus clair avant de se rapprocher sans risques vis-à-vis des autres bateaux déjà au mouillage !
En conclusion, plusieurs amis nous avaient parlé de la transat aller, avec des trémolos dans la voix, comme un moment magique, où le bateau marche tout seul, avec le sentiment d’être sur une luge ! En réalité, nous n’avons connu ces moments de grâce que quelques heures sur toute la traversée du fait d’un alizé inconstant, venant de l’est et surtout du fait d’une houle croisée qui nous a donné souvent l’impression d’être sur un chemin « cabossé », avec une vieille charrette sans amortisseur ! Ce sentiment est d’ailleurs partagé par d’autres équipages, pour certains aguerris, avec lesquels nous avons échangé nos impressions à l’arrivée… Cela nous a rassurés sur notre capacité d’appréciation et nous a confirmé que les îles lointaines, ça se mérite ! A nous maintenant, l’arc antillais que nous avons hâte de parcourir et d’explorer en prenant tout notre temps !
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