Le Marin – Sainte Anne 14 décembre 2018 – 2 janvier 2019
Notre arrivée nocturne, ce vendredi 14 décembre, le long des côtes de la Martinique nous a donné de cette île, en plus des feux relevés ou des éclairages des bourgs et villages, une première impression olfactive : sous l’îlet Cabrits, à la pointe sud de l’île, dans le Canal entre la Martinique et Sainte Lucie, des fragrances de bois secs et épicés. Puis dans l’anse Sainte Anne, alors que nous cherchions vainement à distinguer les feux du bourg et les feux des bateaux au mouillage, n’ayant aucune idée de la configuration ni du relief de ce rivage, une forte odeur de fumier, de pâture et de vaches… Sans doute une hallucination à cette heure avancée de la nuit : il est 4h30 et nous mouillons, heureux d’avoir mené à bon terme cette transatlantique.
Quelques heures de sommeil réparateur plus tard, nous découvrons une île verte : des collines assez élevées, toutes vertes ; des forêts recouvrent tout et quelques grandes prairies vertes s’étendent entre les collines.
Les grains fréquents que nous essuyons, avec le rideau d’eau que l’on voit avancer, expliquent bien toutes ces nuances de verts, et ont l’avantage de bien rincer le bateau !
Notre prudence de cette nuit, alliée à notre méconnaissance des lieux nous a fait mouiller à très grande distance de la flotte de bateaux et du ponton d’accostage pour les annexes. Une fois le jour levé, nous nous avançons donc, mais ne sommes pas pressés de mettre un pied à terre. Après ce temps en mer, loin de toute l’activité terrestre, nous avons comme une appréhension de la retrouver…
Finalement, samedi 15 décembre nous gonflerons l’annexe pour aller au bourg de Sainte Anne, faire les formalités d’entrée : pour cela, un ordinateur en réseau sur le site des douanes, dédié aux « clearances » est à disposition au snack « Chez Boubou ». Nous y allons en compagnie de notre amie Marion, que nous avions laissée à La Palma et qui est arrivée la veille, en fin de journée, de sa traversée depuis les Canaries, seule en compagnie de son chien Bosco. Nous sommes heureux de la retrouver et avons souvent pensé à elle dans notre traversée, durant les moments un peu plus difficiles, où la mer « cabossée » testait notre endurance !
Le bourg de Saint Anne s’étire le long de la plage : deux rues commerçantes parallèles, puis des rues plus « verticales » qui partent à l’assaut des collines tout autour. Bougainvilliers et autres fleurs apportent des couleurs vives aux rues et aux maisons, en bois, déjà colorées. Sur la place, le long de la plage, se tient un marché de Noël : extraction de jus de canne, vannerie, fruits et légumes, pour un premier contact avec la Martinique !
Dimanche 16, après une matinée passée à savourer les plaisirs du mouillage, de l’eau chaude, nous appareillons pour un tour en mer, afin de tester notre nouveau pilote qui nous avait semblé encore défaillant au début de la traversée, malgré la réparation à Mindelo. Par prudence, nous avions navigué avec l’ancien, ou en prenant la barre à tour de rôle, afin d’être certains d’arriver au bout avec un pilote ! Nous l’essayons donc sous toutes les allures, et ne constatons rien d’anormal ! Nous verrons donc ce que donneront nos prochaines navigations. Pour l’heure, il est temps de regagner le fond du Cul de Sac du Marin.
Nous avions fait une demande de réservation de place, restée sans réponse, et nous nous présentons donc, espérant obtenir un poste à quai. La marina paraît saturée et ne peut nous accorder un poste, nous mouillons donc pour la nuit, au milieu de la zone de mouillage organisé.
Dès le lendemain matin, Dominique et Yann décident d’aller en annexe s’enquérir d’une place ; ce n’est pas possible, et ils apprennent que le portail de réservations sur lequel nous nous étions inscrit n’est pas le bon site ! En revanche, si des travaux sont prévus avec le chantier Amel, nous pourrons peut-être avoir une place. Rendez-vous est donc pris pour un test de charge des batteries de service (nous avons des inquiétudes sur l’une d’elles) les 20 et 21 décembre.
D’ici là, nous trouvons à nous placer sur une bouée pour les trois nuits à venir. Nous sommes juste à côté d’un banc de sable ; muni de la sonde à main, en zodiac, Dominique vérifie les fonds sur notre bâbord, et nous nous amarrons bien court sur la bouée afin de réduire l’évitage du bateau…
Ce mouillage sur bouée va nous permettre de multiplier les aller-retour vers la marina pour notre approvisionnement, pour porter chez Amel le tangonnet dont la cloche et l’articulation sont cassées et surtout pour louer une voiture pour les journées du mardi 18 et du mercredi 19 décembre.
Mardi 18, au matin, nous sommes prêts pour une journée de découverte de la Martinique. Pour rejoindre Fort-de-France, nous prenons une route intérieure, par Mare Capron, Rivière Pilote, Petit Bourg, Ducos, avant de rejoindre au Lamentin, la grande rocade autour de la capitale. Cette route à travers les montagnes, nous fait découvrir les vallons agricoles, comme à Grand Fond, où une allée de cocotiers conduit à une exploitation, à travers des prés ;
puis des murs de verdure, le long de la route : la forêt paraît inaccessible, en raison des lierres et autres plantes grimpantes qui partent à l’assaut des arbres, des lianes qui en descendent, leur donnant parfois des formes fanstasmagoriques pouvant faire penser à des orangs-outangs ou des monstres ;
les maisons en bois, à balcons, colorées sont accrochées à flanc de colline et des fleurs rouges, orangées, jaunes se mêlent aux violet, fuchia, rose ou blanc des bougainvillées. Après un col nous offrant une belle vue sur la baie de Fort-de-France, nous redescendons en longeant des plantations de cannes à sucre, ou de bananiers, dans les vallons, pour rejoindre la plaine et les zones commerciales du Lamentin et de l’est de Fort-de-France, avec leurs hangars et leurs grandes enseignes pas plus élégantes sous ces latitudes qu’en métropole !
Nous faisons un détour pour effectuer un repérage du Port de Plaisance Communautaire de l’Etang Z’Abricots. En effet, de construction récente, ce port est à peine mentionné dans notre guide nautique, alors que la brochure « Ti’Ponton » (l’annuaire nautique de la Martinique et de la Guadeloupe) le répertorie dans les marinas offrant un grand nombre de postes à flot. Nous trouvons une marina bien aménagée, recevons un bon accueil ; les abords sont néanmoins encore en construction et les commerces ne sont pas encore installés à proximité. Les approvisionnements risquent d’être difficiles ! En revanche, le lieu paraît paisible. Nous savons maintenant ce que propose ce port, et nous aurons une alternative au Marin, en cas de nécessité.
Nous reprenons notre voiture pour poursuivre notre visite par la route « de la Trace ». Il s’agit d’une route qui reprend l’ancien parcours de « la Trace » (le sentier) qui date du XVII° siècle : elle serpente à travers la forêt humide et contourne les pitons du Carbet, puis la Montagne Pelée, avant de redescendre vers la côte du nord-est. Nous nous perdons quelque peu sur les hauteurs au-dessus de Fort-de-France, en voulant éviter le centre-ville, et passons de mornes en ravines par des routes étroites, raides, et sans lacet.
« Et le morne est bien haut qui mène à leur école… », tout à coup me revient en mémoire ce vers d’un poème appris dans l’enfance et il rythmera tout le reste de notre visite. Les mornes sont élevés, mais sont davantage d’anciennes aiguilles volcaniques que des collines, et surtout, les routes ne sont pas tracées à flancs, et sont, de fait, raides !
Nous retrouvons notre route pour faire une halte à Balata : là, sur un promontoire, une église dédiée au Sacré-Cœur, est une reproduction miniature de Montmartre !
Son intérieur est nettement plus sobre, mais signe d’une grande dévotion. Son parvis offre une belle vue sur la rade de Fort-de-France, malgré le temps gris et pluvieux.
La route poursuit son ascension, contournant les pitons, dont les sommets sont cachés dans les nuages. Une halte au pont sur la rivière de l’Alma nous permet d’apprécier l’eau limpide qui court, travaillant le paysage, permettant aux arbres, les pieds dans l’eau de s’élancer vers le ciel.
Nous passons par le Morne – Rouge, au pied de la Montagne Pelée ; le bourg est comme en balcon, au-dessus d’un vaste vallon agricole. Nous rejoignons l’Aileron, point de départ du sentier qui permet d’atteindre le sommet du volcan, mais l’heure est déjà trop avancée pour entreprendre une telle ascension, et le sommet est lui aussi dans les nuages.
Il nous aurait fallu organiser notre temps autrement, mais nous souhaitions avoir un aperçu de l’île ; aussi nous ne nous attarderons pas sur une longue balade. Nous comprenons le nom de ce volcan : nous sommes au-dessus des forêts qui ont laissé la place à un vaste tapis vert.
Un peu plus loin, à Ajoupa Bouillon, nous nous arrêtons espérant trouver les gorges et les cascades de la Falaise. Nous marchons sur un chemin creux où les bambous, les arbres et les lianes forment une voûte de fraîcheur ; sortant de cette voûte, nous trouvons des plantations de christophines : cette plante grimpante pousse le long de tuteurs puis de câbles jusqu’à former un toit de feuillages et les fruits, les christophines pendent dessous ce toit de verdure.
Nous n’avons pas vu les gorges ni les cascades, mais avons découvert ces cultures, les cannes à sucres sur le bord du chemin, les fleurs cachées sous de grandes feuilles, cette végétation si riche qui nous rappelle l’origine caraïbe du nom de la Martinique : « Madinina », l’île aux fleurs.
Notre route retour, avant la tombée de la nuit, nous fait passer par la côte au vent, tournée vers l’Atlantique : Le Lorrain, Le Marigot, Sainte Marie, La Trinité, Le Robert, Le François, Le Vauclin, les bourgs se suivent dans leurs anses profondes, entre les plantations de bananes ou de cannes à sucre, avec les sucreries, et plus au sud, les pâtures et les vaches ! les effluves à notre arrivée n’étaient pas une hallucination : les vallonnements derrières Sainte Anne, ou Le Marin, sont des pâtures où des vaches ou des zébus paissent paisiblement.
Après la grisaille du matin, cette route sur la côte au vent était ensoleillée, et nous avons apprécié les éclairages du soleil déclinant.
Cette escapade terrestre a ravivé dans ma mémoire un poème : « Prière d’un petit enfant nègre » de Guy Tirolien (guadeloupéen, ami de Léopold Sédar Senghor, qui a participé à l’ébullition de la Négritude), appris dans l’enfance, et l’a fait revivre en lui donnant tout son sens :
« Seigneur, je suis très fatigué.
Je suis né fatigué.
Et j’ai beaucoup marché depuis le chant du coq
Et le morne est bien haut qui mène à leur école.
(…)Je veux suivre mon père dans les ravines fraîches
Quand la nuit flotte encore dans le mystère des bois
Où glissent les esprits que l’aube vient chasser.
(…) Je préfère flâner le long des sucreries
Où sont les secs repus
Que gonfle un sucre brun autant que ma peau brune… »
Le lendemain, mercredi 19, la matinée est pluvieuse, et nous profitons d’avoir une voiture pour trouver des accessoires en magasin de bricolage, sur la zone Artimer un peu à l’écart du port. Nous repérons aussi le Leader Price installé à côté de la zone de Carénage, et au bord de l’eau, avec un ponton dédié aux annexes des plaisanciers !
Nous partageons, avec émotion, un dernier déjeuner avec notre équipier Yann qui doit prendre son avion de retour en métropole dans la soirée…
Jeudi 20 décembre, nous quittons notre bouée pour rejoindre la marina : la première partie des travaux sur les batteries doit commencer aujourd’hui par la mise en charge de celles-ci, avant différents tests dans la journée de demain. Nous récupérons aussi le tangonnet avec sa nouvelle cloche d’articulation. Vendredi le verdict tombe : comme nous le craignions, une des batteries ne tient plus la charge et déséquilibre l’ensemble du parc des cinq batteries de service ! Il faut donc le changer dans sa totalité… Rendez-vous est pris pour les 26, 27, 28 décembre et la place est immédiatement réservée auprès de la capitainerie.
En fin de journée du vendredi 21, nous retournons au mouillage devant la plage Saint Anne, où nous passerons Noël.
Nous profitons du calme du mouillage et de l’animation du marché du bourg pour faire nos achats en fruits et légumes.
Le 24, le vent tombe en fin de journée, et nous pouvons nous rendre en annexe, à l’église pour la veillée et la messe de Noël.
La veillée est un petit concert spirituel donné par une chorale, et par quelques autres personnes. L’ensemble est perfectible, mais tout est bon enfant. La messe de la Nativité est bien gaie, et c’est presque en dansant que le prêtre porte l’Enfant Jésus jusqu’à la crèche, au son d’un « Il est né le Divin Enfant » alerte et joyeux. Le jour de Noël, nous partageons notre déjeuner avec Marion, et sommes contents de prendre de ses nouvelles un peu plus longuement depuis son arrivée en Martinique.
Du mercredi 26 décembre au mercredi 2 janvier, nouvelle escale technique au port du Marin : démontage du moteur et du réducteur de l’enrouleur du génois pour révision, révision du génois, vidange du moteur, changement du parc des cinq batteries de service. Les intervenants se connaissent bien et se mettent d’accord pour travailler sans se gêner. Après quelques péripéties, notamment pour réamorcer le moteur en gasoil, tout est à nouveau en place, réparé et en état de marche samedi 29, en fin de matinée. La Capitainerie nous permet de rester à notre poste plutôt que de prendre une bouée.
Cela nous permet d’accueillir nos amis, Jérémie, Nicolas et Arnaud, qui ont atteint la Martinique, la veille, après une transat au départ des Canaries. Nous les avions rencontrés à Marseille, comme voisins de panne, lorsqu’ils étaient de passage au mois de juin dernier. Nous avions gardé le contact, et avons suivi leur progression à travers l’Atlantique.
Nous leur proposons de se joindre à nous pour une visite de Fort-de-France ; comme nous sommes le 31 décembre, nous avons eu du mal à trouver une voiture ; finalement l’une d’elle est disponible, pour la journée seulement, au Vauclin ; mais le loueur nous propose de nous l’amener jusqu’au Marin.
Nous nous laissons guider par les panneaux de signalisation et atteignons le Centre-Ville, quittant la rocade qui court de mornes en ravines. Une fois la voiture garée, nous partons explorer ce petit centre, construit sur une partie plane, délimitée par la Rivière Madame qui descend du nord au sud pour rejoindre la Baie des Flamands, à l’ouest, et par le boulevard Général De Gaulle qui la contourne, avec des rues étroites se coupant à angles droits. Nous sommes en plein cœur des rues commerçantes et l’animation en cette veille de fête est grande ! Nous visitons les marchés : celui de fleurs, fruits, légumes et produits locaux est coloré et animé, sous un vaste chapiteau, la halle étant en rénovation. Nous longeons la Rivière Madame, qui est canalisée et dont les quais sont décorés de motifs divers.
Le marché aux poissons est fermé, mais nous trouvons le marché aux viandes : quelques échoppes sont encore ouvertes et cela nous permet d’apprécier la structure de fer et de verre de cette construction.
La cathédrale Saint Louis se repère vite à son clocher ajouré ; la place devant son parvis est décorée pour Noël et un immeuble moderne tout en verre, qui lui fait face, reflète le clocher, tandis que les autres côtés de la place proposent des devantures peintes et plus ou moins délabrées…
La cathédrale est vaste et sa nef centrale soutient une voûte charpentée en forme de coque de bateau, avec des plafonds à caissons. Comme toutes les églises que nous avons vues, pour l’instant en Martinique, elle est très éclairée : des vitraux dans le chœur, mais les autres ouvertures sont des fenêtres avec ou sans vitre, à persiennes de bois suffisamment inclinées pour que la pluie des grains ne pénètre pas ; la plupart du temps, elles sont grandes ouvertes, apportant de l’air et de la lumière et faisant tinter les lustres en cristal. De lourds volets de bois plein complètent le dispositif de fermeture.
La cathédrale Saint Louis est la sixième édification et date des années 1890 ; les précédentes ont connu tremblements de terre et incendies ; de style roman byzantin, elle a été édifiée sur une ossature métallique, de manière à résister à tous ces fléaux, et la flèche de son clocher, à 60 mètres de haut, est ajourée.
Une très belle crèche créole est installée au bas d’une nef latérale.
La suite de notre promenade dans les rues de la ville nous mène à la Place Savane, vaste espace vert où arbres, cocotiers, et bosquets fleuris rivalisent. Sur l’artère qui la longe (la rue de la Liberté), de beaux bâtiments, dont la Bibliothèque Schœlcher, bâtiment surprenant par son exubérance, rapporté de l’Exposition Universelle de 1899.
Elle est malheureusement fermée ce 31 décembre, comme d’ailleurs le Fort Saint Louis qui domine la Baie des Flamands. Cela n’empêche pas les iguanes de se prélasser au soleil.
Notre projet de visite d’une distillerie sur la route du retour tourne court car elles sont toutes fermées en cette veille de réveillon.
Nous rentrons donc tranquillement par la route intérieure retrouvant avec plaisir les paysages traversés dans l’autre sens le 18 décembre dernier.
Pour la journée du premier janvier 2019, nous avons eu le plaisir de déjeuner au soleil, à bord, avec notre nièce Laure et son compagnon Bruno, venus au Vauclin pour faire du kite-surf… C’était bien agréable, cette rencontre familiale si loin de nos bases !
Le 2 janvier, nous appareillons enfin, pour partir à la découverte de mouillages martiniquais et sur l’île Sainte Lucie… Les navigations reprennent !
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