9 juin - 13 juillet 2020, Archipel de la Guadeloupe, 3° partie, Les Saintes
Mercredi 24 juin, la traversée depuis Pointe-à-Pitre, pour rejoindre les Saintes est un peu agitée : pré serré, pour éviter les cayes à l’entrée du Petit-Cul-de-Sac, grains, vent fort et forte houle, trombe d’eau au loin ; une fois le cap mis sur les Saintes, et les grains passés, la route, vent de travers se fait plus facilement, malgré la houle toujours forte. Nous revoyons par la mer les vallons cultivés au pied de la Soufrière.
Comme toujours, le vent se renforce à l’arrivée sur la pointe nord des Saintes ; la passe de la Baleine est bien balisée et nous entrons dans le calme des eaux de la rade des Saintes. Le mouillage est réglementé sur bouée ; il y a peu de monde et nous en prenons une dans le nord de l’Anse du bourg, devant l’Anse à Mire.
A terre, dans la rue principale, à l’étage d’une maison se trouvent les bureaux de LSM (Les Saintes Multiservices). C’est cet organisme qui gère les bouées ; les prix sont assez attractifs et dégressifs dans la durée. Les autres services proposés sont une grande salle pour les plaisanciers, avec wifi, ordinateur des douanes pour les formalités d’entrée et de sortie, un coin laverie, quelques distributeurs de boissons et réservation pour approvisionnement en eau, au ponton des vedettes.
Les Saintes forment un archipel composé de deux îles, Terre-de-Haut et Terre-de-Bas, et de sept îlets rocailleux. L’archipel a été baptisé « Los Santos » par Christophe Colomb qui le découvrit au début du mois de novembre 1493 en référence à la fête de la Toussaint. Dans ces îles, toutes en hautes collines, pas de champs de canne à sucre ; c’est la pêche qui a été l’activité principale ; en effet, les Saintois sont plutôt des descendants de pêcheurs Bretons ou Normands, que d’esclaves africains. Ici, comme dans de nombreuses îles des Antilles, les luttes entre Anglais et Français pour garder la suprématie sur les territoires ont été nombreuses aux XVII° et XVIII° siècles, avec notamment, en 1782, la Bataille des Saintes, petit Trafalgar, hélas, avant l’heure.
Terre-de-Haut est une île en forme d’apostrophe aux contours inégaux ménageant ainsi de vastes anses. La plupart s’ouvrent sur le canal de la Dominique et sont soumises aux vents et aux vagues induits par ce resserrement de l’Océan Atlantique avant la Mer Caraïbe. Seule la rade des Saintes, dans le concave de l’apostrophe, protégée au nord par l’îlet Cabrit forme une petite mer intérieure calme et abritée ; c’est dans cette rade que le bourg a été édifié.
A l’ouest, Terre-de-Bas présente un contour plus régulier, marqué par deux ou trois anses profondes tournées vers le sud ou vers l’est.
Nous avons fait escale uniquement à Terre-de-Haut, nous promettant, ici aussi, de revenir savourer l’aspect sauvage du mouillage au sud de l’îlet Cabrit et découvrir Terre-de-Bas.
Nous restons cinq jours au mouillage, relativement paisible, parfois légèrement bercés par la houle qui entre un peu par la passe de la Baleine, au nord.
Le bourg est réputé pour ses maisons et ses cases en bois colorées et ses toits rouges.
La rue principale s’étire le long de l’anse, tandis que d’autres rues partent à l’assaut des mornes.
La Mairie et l’église, proches l’une de l’autre donnent sur une petite place où un monument à la mémoire des pêcheurs saintois brille de blancheur au soleil.
L’église Notre-Dame de l’Assomption à la décoration un peu naïve témoigne de la piété des marins ; son clocher en bois remarquable est une reconstruction à l’identique, après un séisme en 2004.
Le calvaire et la chapelle des marins, sur un promontoire au-dessus du bourg offrent un beau point de vue, à l’ouest, sur la rade, le bourg et l’îlet Cabrit, et à l’est sur la partie du bourg qui redescend vers le Cimetière et, plus loin, Grande Anse. Deux autres points de vue, accessibles facilement, complètent la perspective sur le bourg : Tête Rouge de la Batterie, au sud-ouest, et le Fort Napoléon, au nord. Comme son nom l’indique, la Tête Rouge de la Batterie est un promontoire sur des roches ocres, qui referme la baie au sud-ouest, équipé d’une ancienne batterie. A ses pieds l’anse de Fond de Curé sert de port de pêche et de port de commerce avec son grand ponton ;
à son ouest, l’anse Galet, sauvage au pied d’une falaise, et plus loin, le Pain de Sucre.
Chèvres, iguanes et coqs peuplent ce promontoire.
Le Fort Napoléon, quant à lui, a été élevé sur le modèle des fortifications Vauban, sur les ruines d’un ancien fort, en 1777. Bien conservé, il abrite le Musée des Saintes ; mais nous n’en verrons que les douves de la façade sud et son premier pont levis, car il n’a toujours pas rouvert depuis le confinement. Déçus, nous aurons le point de vue par le nord sur la rade comme récompense, Nissos nous attendant tranquillement sur sa bouée,
et une discussion sympathique avec une famille venue de Guadeloupe, désolée de trouver porte close, elle aussi. Ses membres nous vantent la visite du Musée, avec notamment la bataille des Saintes, et le portrait de Louis-Adhémar-Timothée Le Golif, dit Borgnefesse, capitaine de la flibuste. Sur leurs conseils, nous nous mettons en quête des Cahiers écrits par ce flibustier contemporain de Louis XIV, édités chez Grasset. Cette lecture nous donnera une certaine vision de la vie des flibustiers dans ces mers que nous sillonnons actuellement.
Ne pouvant visiter le Musée, nous repartons découvrir les anses de l’île, regrettant de ne pas pouvoir en apprendre davantage sur l’histoire et les particularités des Saintes ; en effet, un des accessoires important des Saintois était le « salako » : chapeau que les soldats annamites venus du Vietnam à la fin du XIX° siècle avaient dans leur uniforme. Il a été adopté par les pêcheurs saintois qui l’ont enveloppé de tissus madras. Les monuments ou peintures des rues nous permettront de nous faire une première idée de l’allure et de l’intérêt de ce chapeau.
La côte est et la côte sud de l’île offrent plusieurs anses de sable blanc, mais malheureusement assez souvent dangereuses en raisons des rouleaux et des courants du Canal de la Dominique. A cela s’ajoutent, en cette saison, les sargasses…
Du nord au sud, les anses sont séparées par quelques promontoires plus ou moins importants.
Tout d’abord, la baie de Marigot, toute ouverte au nord, est une profonde échancrure dans la côte, et des barques de pêcheurs occupent la plage ; les roches émergeant çà et là et les quelques épaves sur la rive est ne rendent pas le fond de cette baie hospitalier ;
la baie de Pompierre, ensuite, est elle aussi très profonde, abritée de la houle par les Roches Percées à l’est ; sa plage est ombragée grâce aux cocotiers, et si le vent de nord-est n’est pas trop fort, elle est un bel endroit de baignade.
Ensuite, la Grande Anse étire ses neuf cents mètres de plage de sable clair ; mais quelle que soit la saison, elle est interdite à la baignade, battue par les vents et les rouleaux déferlants et écumants.
De plus, la piste de l’aéroport a été installée au pied de la Savane, traversant d’ouest en est, cette partie de l’île peu élevée. La piste se termine à la limite de la plage et il est recommandé aux promeneurs de prendre garde au décollage des avions.
Le Morne Rodrigue ferme cette anse au sud et offre une bonne protection pour l’anse du même nom creusée dans son sud. Une pelouse rase, où chèvres et moutons broutent quelques brins, mène au sable blanc.
Mais, s’enroulant autour du morne, la mer vient battre les rochers qui bordent l’anse, créant quelques courants dont il faut se méfier. Plus au sud, l’Anse du Figuier est une anse à l’est du Morne du Chameau (sommet de l’île). La route mène jusqu’à celle-ci, relativement bien protégée de la houle et bordée de maisons ou de prés, à l’herbe rase et desséchée.
Un chemin caillouteux et raide permet d’atteindre l’Anse Crawen, dernière anse au sud-est de l’île ; là, poules et coqs attendent avec de jeunes chatons les trop rares touristes qui viendraient profiter de la plage pour un pique-nique, à l’ombre des flamboyants, cocotiers ou amandiers. Les coqs essaient de garder leurs avantages face à des poules un peu trop entreprenantes tandis que les chatons tentent timidement de s’approcher pour quémander quelques nourritures.
Toutes ces anses nous ont paru sauvages, la météo occasionnant des vagues et des gerbes d’eau sur les enrochements qui les bordent à leurs extrémités. A l’intérieur de la rade des Saintes, la mer est plus calme ; dans sa partie sud-ouest, le Pain de Sucre est un promontoire de coulées basaltiques, relié à la terre par un isthme sablonneux recouvert d’une pelouse rase et de cocotiers et sur lequel est bâtie une belle case.
La petite anse à l’ouest, à l’abri des vents dominants offre une eau calme et limpide et les tombants du Pain de Sucre offrent de beaux paysages sous-marins;
à l’est de l’isthme, l’Anse Devant est tournée vers le bourg mais sa belle plage de sable est agitée par le clapot provoqué par le vent.
Un peu endormie en cette saison, Terre-de-Haut nous a séduits et nous comprenons sa renommée. Nous avons goûté à la douceur de vivre et avons apprécié les « tourments d’amour » (une génoise moelleuse à la confiture) de Cillette : ceux au coco particulièrement… La seule animation notoire de l’île, durant notre séjour, est due aux derniers jours de campagne électorale pour le second tour des élections municipales ; des camionnettes fortement sonorisées sillonnent les rues du bourg ; chacun des trois candidats promouvant sa future politique, au micro dans la voiture.
Des cortèges et des danses aux couleurs de l’un ou de l’autres sont une autre forme de propagande ; jusqu’au samedi soir, rues, places et plages vivront des bruits et des harangues de cette campagne. Dimanche matin, les files de votants s’étireront bien calmement devant les bureaux de vote.
Lundi 29 juin, nous appareillons dans la douceur du petit matin, nous promettant ici encore, de revenir plus tard pour faire le plein d’autres belles images, après la saison cyclonique et espérant pouvoir visiter le Fort Napoléon. Nous passons devant le Pain de Sucre dont les colonnes basaltiques sont plus visibles depuis la mer, avant de franchir la passe entre Terre-de-Haut et Terre-de-Bas. Devant nous, au sud, les îlets de La Coche et Grand-Ilet révèlent leurs roches agressives au soleil levant ; la mer déferle sur les récifs qui les entourent ;
la passe des Dames, entre les deux, est étroite et impressionnante et après de longues minutes de vigilance, nous abordons le Canal de la Dominique ; nous parcourons au près les quelques soixante-quinze milles qui nous séparent de Saint Pierre, au nord de la Martinique. Les canaux entre les îles sont un peu agités, mais le bateau, arisé et équilibré, passe bien la houle. Seul le propulseur, qui prend l’eau, sous les coups de boutoir de la houle, nous cause quelques soucis et régulièrement nous vérifions l’entrée d’eau et épongeons… Il nous faut treize heures pour atteindre notre but. Nous retrouvons en rade de Saint Pierre, Joëlle et Philippe, sur leur catamaran « VoileOvent II », en partance pour les Saintes.
Nous passons une excellente soirée, heureux de nous retrouver, chacun relatant ses découvertes, ses préoccupations sur son bateau ou ses travaux, tout en partageant des saveurs alsaciennes, sur les bords de la Mer Caraïbe ! L’« Alsace à Kay » est installé ici depuis de nombreuses années et régale habitants et touristes avec ses saveurs vosgiennes. Il présente également l’avantage de proposer le service de clearance avec un ordinateur des douanes. Nous partageons nos expériences, « VoileOvent » dans la poursuite et la finalisation des formalités administratives concernant l’achat de leur catamaran (bien ralenties par le confinement), tout en se préparant à naviguer, et nous, nos découvertes de la Guadeloupe.
Le lendemain, « VoileOvent II » repart vers le nord, tandis que nous poursuivons notre descente vers le sud de la Martinique, admirant cette côte colorée avec les taches jaunes et rouges des flamboyants, et son beau village du Carbet, au bord de l’eau.
Nous faisons une halte, incontournable, à la Grande Anse d’Arlet, pour nager et admirer, une fois encore ses eaux ; c’est également l’occasion de partager une soirée avec Michelle et Manu. Lui est navigateur, et après avoir commencé à participer à la Longue Route 2019, est venu ancrer son kirk « Martin » à Grande Anse où vit Michelle ; elle termine sa carrière d’institutrice au Bourg et a mis en place, avec ses élèves des échanges épistolaires avec Manu, lors de ses traversées, et également entre ses élèves et les enfants voyageurs rencontrés sur les bateaux. Nous suivons tout cela grâce à Facebook et avions pu les rencontrer l’été dernier à Cariacou. Une fois de plus, les échanges ont été riches ; leurs bateaux sont vendus, et ils ne vont pas tarder à rentrer à Argelès finir de préparer leur « Martin II » qui prendra la mer dès que possible à l’automne, en direction des Canaries tout d’abord, avant la Traversée de l’Atlantique… Nous continuerons à les suivre, retrouvant avec plaisir, dans leurs publications, le souvenir de notre route…
Nous regagnons ensuite Sainte Anne, début juillet ; ces jours sont consacrés à la préparation du bateau que nous allons laisser pour un mois. En raison de la saison cyclonique, nous devons enlever tout ce qui peut donner une prise au vent et s’envoler (génois, pales de l’éolienne, amarrer les bômes sur le pont…) ; quelques jours au port, avant notre départ, permettront de finaliser ces préparatifs (attacher les défenses entre elles en passant sous la coque, attacher les drisses, installer les tendeurs sur les amarres…). A cela s’ajoutent l’entretien mécanique du moteur, après ce mois de navigation (la courroie du deuxième alternateur s’use prématurément, nous la désaccouplons), la vérification des stocks de nourriture, la pose de pièges pour éventuels cafards…
Le 13 juillet nous laissons Nissos au Marin, et partons pour la métropole. Nous sommes heureux de rentrer retrouver les enfants et petits-enfants, nos familles, célébrer le mariage de notre fils Damien, avec Anne-Estelle, mais toujours un peu inquiets de laisser le bateau en cette période risquée…
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