De retour vers l’Arc Antillais - 1100 milles au large
De retour vers l’Arc Antillais - 1100 milles au large
La descente vers l’arc antillais depuis les Bahamas ou la Floride n’est pas très aisée, car la navigation va à l’encontre des vents dominants que sont les alizées.
Si on consulte la bible qu’est « Routes de Grande Croisière » de Jimmy Cornell, il y a deux solutions. La première consiste à descendre vers le sud-est par les îles Bahamas, puis les Turck et Caïques, le long de la côte de la République Dominicaine, Porto Rico, pour arriver aux Iles Vierges américaines, ou britanniques. On lutte contre le vent tout le temps. Il faut attendre les créneaux météo favorables pour faire les grandes étapes, se reposer dans les abris qu’offrent ces côtes etc… C’était ce que nous avions envisagé au départ. Mais le temps passant très vite, nous devions ramener Nicole et José à Nassau, et il ne nous restait plus qu’un petit mois pour rejoindre La Martinique avant Noël.
La seconde option est de partir au large plein est, sur le 25eme parallèle nord à une latitude où les alizées ne sont pas encore établis et stables, où la météo subit l’influence des dépressions qui passent sur la côte est des Etats Unis à cette époque. On peut ainsi profiter au maximum de vents favorables, lors de la progression vers l’Est, si on étudie bien la météo. Ensuite une fois pratiquement atteint la longitude de l’île visée, on oblique au sud en espérant que l’alizée ne s’oriente pas SE, ce qui est rare en début d’hiver.
Nous avons donc opté pour cette tactique. Nous avons profité du passage d’un front froid (généré par une dépression au nord) pour gagner de l’est, puis nous avons mis cap progressivement vers le sud, au fur et à mesure que le vent est passé à l’est par le nord-ouest puis le nord-est. Puis nous avons progressé le plus sud est possible quand l’alizée d’Est s’est établi.
Notre parcours et le vent qui nous a accompagné
Nous appareillons donc dès le 26 novembre après avoir déposé Nicole et José dans un taxi. Nous voulons profiter du vent d’ouest qui souffle déjà depuis une journée. Avec un petit vent d’ouest à sud-ouest nous empruntons le « North East Providence Passage » entre Eleuthera et les Abacos et nous mettons cap à l’est. Nous passons une première demi-journée et une nuit tranquille. La vie à bord se met en place. Nous cuisinons, une salade le midi, un petit plat chaud le soir. Philippe se met même à pêcher (bonne influence de son beau-frère ?). Nous remontons une énorme dorade coryphène. Je suis découragée devant la taille de la bestiole, nous la remettons à l’eau. Dommage me direz-vous. Certes, mais avec le temps qui va se renforcer, je ne me sens pas le courage de me mettre à saler, fumer ou autre préparation ! Nous pouvons admirer de splendides levers et couchers de soleil comme on n’en voit qu’en mer.
La vie reprend un rythme de traversée, séances de méditation, petit déjeuner tranquille, douches à l’extérieur
Une magnifique dorade coryphène
Puis le second jour le vent commence à fraîchir d’ouest à sud-ouest, le front froid approche. Nous prenons un ris avant la nuit. La nuit sera mouvementée avec des sautes de vent, un empannage intempestif et violent, des grains. Le vent tourne au matin au nord-ouest toujours fraichissant, passage typique d’un front froid avec son lot de pluies. La mer se forme sous les rafales à 30 nœuds. Nous sommes poussés comme cela à bonne vitesse pendant 24 heures. Nous retrouvons le rythme d’une transat avec un peu moins de roulis et un certaine gite car nous sommes plus vent de travers. Il faut fermer les écoutilles car ça commence à mouiller et tout devient plus difficile car ça bouge beaucoup !
De belles vagues nous rattrapent
La nuit suivante et au matin du quatrième jour le vent tourne au nord en faiblissant. Nous devons faire tourner le moteur pendant presque 24 heures pour avancer un peu et avoir progressé suffisamment vers l’est avant que les alizées ne se réinstallent. Nous soufflons un peu. Car si la mer se lève assez vite à partir de 20 nœuds de vent elle se calme aussi relativement vite, ne laissant qu’une grande houle de nord persistante. Nous pouvons avoir des occupations autres que la lecture, comme mettre à jour le blog par exemple. Nous renvoyons la voile quand le vent se renforce du nord nord-est et pendant une douzaine d’heures nous progressons sous une bonne brise de 15 nœuds et seulement une belle houle.
Et un lever de soleil par belle houle
Le sixième jour, le vent tourne progressivement au nord-est puis à l’est et nous commençons à obliquer vers le sud. Nous installons le solent en prévision du fraîchissement annoncé du vent et l’envoyons dans la soirée. Il faudra même prendre le second ris.
Solent prêt à être envoyé – Solent et 2 ris en place et c’est parti pour plusieurs jours de près.
C’est là que nous nous rendons compte que l’empannage a du faire des dégâts. Plusieurs rivets de l’attache du vit de mulet (fixation de la bôme sur le mat) ont sauté (la bôme s’était déjà complètement désolidarisé du mât lors de notre traversée vers le Cap Vert l’an dernier). D’autre part la grand-voile se coince. Le chariot de tête semble se bloquer. Nous nous rendrons compte à l’arrivée que toutes les billes de ce chariot ont sautées. En la faisant faseyer un peu, on arrive à débloquer la grand-voile ; mais nous préférons éviter pour ne pas trop solliciter le vit de mulet (cruel dilemme !). Philippe installe une sangle pour maintenir la platine de bôme sur le mât et nous faisons au mieux pour ne pas donner trop de secousses à cette articulation.
Bricolage de fortune
Nous passons ensuite trois jours fort inconfortables : au près dans une mer agitée à forte. Nous avons pris 2 ris et gardé le solent, le bateau se comporte très bien, mais que c’est plus difficile pour l’équipage : on a l’impression d’être dans un shaker ! On en peut pas dire que l’on vit en mode survie, il ne faut pas exagérer, mais disons en service minimum, pas de cuisine, on se déplace toujours avec 3 points d‘appuis ! Nous avons abandonné le café à la cafetière suite à une nouvelle envolée de l’engin, nous nous contentons de café instantané, de soupes déshydratées, de pain, de fromage… On a l’impression de se déplacer comme les singes en bien moins agile ! C’est fatiguant !
Compagnons de traversée
Un joli ciel de traine au coucher du soleil
La dernière nuit le vent se calme enfin un peu et nous finissons le 4 décembre par un bord de près bon plein. Nous doublons la pointe sud-ouest d’Anguilla à la tombée de la nuit et nous mouillons notre ancre dans la Baie de Marigot à Saint Martin à 19h30 locale.
Au soir du 04 décembre, Anguilla (tout plate) au premier plan, et le relief de Saint Martin se découpe au loin, ça sent l’écurie !
Nous sommes bien contents d’arriver, de retrouver un bateau horizontal et quasiment immobile et aussi fiers de cette belle navigation qui s’est déroulée comme prévu sur les simulations que j’avais faites à l’aide des prévisions météo. Certes ce fut un peu dur à supporter, mais ce sont les « joies » de la navigation et le prix à payer de cette vie que nous avons choisi. Les plaisirs sont tellement plus grands que les moments difficiles !
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